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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

les remplacer ; qu’en aspirant au pouvoir, il s’était proposé réellement, non pas de s’en procurer les jouissances matérielles et immédiates ; mais, comme je l’ai déjà dit, de s’illustrer en agrandissant son pays, et qu’enfin cette tâche n’était pas au-dessus de ses forces.

Cette sorte d’omnipotence qu’il avait si long-temps poursuivie, et que l’opinion, l’empire des circonstances, lui déféraient alors, ce n’était pas pour lui un but, mais un moyen. Abandonnant au vieux duc de Newcastle, avec le titre et la représentation extérieure de chef du cabinet, l’exercice du patronage, cette répartition des graces et des faveurs qui, pour les esprits subalternes, est même du pouvoir, dédaignant jusqu’à l’excès peut-être les détails de l’administration, laissant à ses collègues le soin de la faire marcher et de lui ménager des appuis dans le parlement, c’est sur la conduite de la guerre et des négociations engagées pour en assurer le succès qu’il concentra toute son action personnelle. Là, il est vrai, il était bien décidé à ne souffrir aucune contradiction ; sa volonté devait décider sans contrôle de tout ce qui pouvait s’y rattacher directement ou indirectement. La première fois qu’une de ses propositions rencontra dans le conseil une résistance un peu sérieuse, il menaça de donner sa démission. Il n’en fallut pas davantage pour réduire les opposans au silence, et depuis ce moment tout se tut devant lui.

On a raconté de singulières choses de l’obéissance presque servile à laquelle il avait réduit les autres ministres. On a affirmé que les lords de l’amirauté, que lord Anson lui-même, avaient dû consentir à signer sans les lire les ordres relatifs aux expéditions maritimes dont il jugeait à propos de se réserver le secret. Il y a certainement quelque exagération dans de pareils récits, mais cette exagération même prouve quelle idée on se faisait de l’omnipotence de Pitt. — Le grand principe de sa force, que n’expliquerait pas suffisamment la supériorité même de ses talens, c’est que la pensée patriotique dont il était animé, sa passion de relever l’Angleterre de l’abaissement où elle était tombée, répondaient à un grand changement qui s’était depuis peu opéré dans l’opinion, changement que son génie avait deviné comme instinctivement, lorsqu’il ne se révélait pas encore aux intelligences vulgaires. L’Angleterre commençait à se lasser des luttes de partis qui, dégénérées peu à peu en intrigues de coteries, avaient long-temps absorbé toute son activité et comme anéanti son esprit public. Il lui tardait de voir renaître ces jours de grandeur et de conquêtes qui n’avaient plus lui pour elle depuis l’avénement de la maison de Hanovre, et ses sympathies étaient tout acquises au ministre qui comprenait si bien, qui