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ministère de Walpole, avait dirigé le parti tory. Le duc de Bedford remplaça lord Temple comme gardien du sceau privé.

Les faveurs que Pitt avait acceptées en abandonnant le pouvoir portèrent quelque atteinte à sa popularité. La médiocrité envieuse, toujours si prompte à signaler les faiblesses ou ce qu’elle veut considérer comme les faiblesses des hommes supérieurs, ne manqua pas d’unir sa voix à celle des ennemis du ministre déchu pour l’accuser de s’être laissé acheter par la cour, d’avoir, au prix de l’argent et des honneurs prodigués à sa famille, sacrifié ses principes et déserté le poste où il pouvait les faire triompher. Dénoncé comme un apostat et un transfuge par la tourbe des pamphlétaires et des journalistes, Pitt trouva d’abord peu de défenseurs ; il se crut obligé de descendre lui-même dans la lice pour se justifier ; il fit publier, sous la forme d’une lettre au greffier en chef de la Cité, une sorte de manifeste remarquable par l’accent de noble fierté qui s’y mêle à celui de la sensibilité blessée. Cet orage dura peu d’ailleurs. Il était dit que Pitt resterait jusqu’à la fin le favori de la nation. Au bout de quelques semaines, ces fâcheuses rumeurs s’étaient entièrement dissipées, et le jour de la solennité annuelle de l’installation du lord maire, tandis que lord Bute était insulté, que le roi lui-même était accueilli avec une froideur marquée, l’apparition de l’ancien ministre excita les acclamations enthousiastes de la multitude. Bientôt, comme à sa première sortie du ministère, la Cité de Londres et les principales villes du royaume lui votèrent des adresses remplies des expressions les plus vives de leur admiration et de leurs regrets. Ces adresses, au milieu des déclamations qu’elles contenaient, présentaient une appréciation fort juste et bien sentie de ce qui avait fait réellement la gloire du ministère de Pitt : elles le remerciaient d’avoir, par son sincère patriotisme, la vigueur de son esprit, son habileté, sa prudence, arraché l’Angleterre à l’état de faiblesse et de pusillanimité où elle était tombée, d’avoir réveillé son énergie, rappelé et surpassé les jours de son ancienne gloire, porté sa puissance, ses conquêtes, son crédit, la prospérité de son commerce à une hauteur jusqu’alors inconnue, réconcilié tous les partis en les unissant pour la défense commune, assuré au pays la jouissance d’une paix profonde au milieu de l’univers en proie aux calamités de la guerre, reporté sur l’ennemi vaincu la terreur de ces invasions dont ses flottes, maintenant anéanties, menaçaient naguère encore la Grande-Bretagne, enfin d’avoir appris aux Anglais que leurs propres forces étaient plus que suffisantes pour défendre leur territoire, et qu’ils n’avaient pas besoin de recourir à ces mercenaires étrangers