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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

au titre qu’il se faisait ainsi donner, il consentit, ce qu’il n’avait pas voulu quelques années auparavant, à quitter la chambre des communes, et à partir de ce moment c’est sous le titre de comte de Chatham qu’il figure dans l’histoire.

Ces arrangemens excitèrent dans le public une inexprimable surprise. On ne pouvait se rendre compte d’une combinaison qui réunissait à l’improviste et sans que rien y eût préparé les esprits, des hommes appartenant aux opinions les plus diverses, des hommes qui, jusqu’alors, n’avaient eu les uns avec les autres aucune relation. Ce qui ne causait pas un moindre étonnement, c’était la résolution prise par le grand orateur des communes d’abandonner le théâtre de sa gloire et de sa puissance pour se laisser reléguer dans une chambre où il ne pouvait trouver les mêmes élémens de succès. Vainement alléguait-il les progrès de l’âge et des infirmités qui le rendaient peu propre aux fatigues des luttes journalières de la chambre basse. Cette explication paraissait peu naturelle de la part de celui qui se chargeait du gouvernement de l’état. Lord Chesterfield peint, très vivement, dans une de ses lettres, ce mouvement de l’opinion publique : « On est confondu, dit-il, de cette détermination dont on ne peut se rendre compte. Il est inoui, je crois, qu’un homme dans la plénitude de sa puissance, au moment même où son ambition venait d’obtenir le triomphe le plus complet, ait quitté la chambre qui lui avait procuré cette puissance, et qui seule pouvait lui en assurer le maintien, pour se retirer dans l’hôpital des incurables, la chambre des pairs. » Ce dernier trait est remarquable en ce qu’il prouve que l’idée d’appliquer à la pairie cette dédaigneuse qualification n’est pas née en France et de nos jours. Il ne faut pourtant pas en conclure que, du temps de lord Chesterfield, les pairs de la Grande-Bretagne eussent perdu leur ascendant : cet ascendant était peut-être plus grand que jamais ; mais ils l’exerçaient indirectement, ils le déguisaient jusqu’à un certain point, et le rendaient populaire en envoyant leurs puînés et leurs protégés siéger dans l’autre chambre, dont la composition élective, bien que soumise de fait aux grandes influences territoriales, simulait une démocratie bien éloignée encore à cette époque de son avénement réel.

L’opinion était mécontente. Malgré tous les efforts de lord Chatham pour justifier sa conduite, il se voyait à son tour accusé d’avoir subi, comme ses devanciers, l’influence occulte de lord Bute. Il est vrai qu’il fournit un merveilleux prétexte à cette banale imputation en consentant, sur la demande du roi, à rétablir le frère de l’ancien favori dans un emploi important que lui avait ôté le ministère de