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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

ment ; la réponse invariable à ces instances, c’était un refus motivé sur le déplorable état de santé qui ne permettait pas à lord Chatham de recevoir son collègue. Dans un moment où les circonstances étaient devenues plus urgentes encore, il ne fallut rien moins que l’intervention personnelle du roi pour triompher de cette résistance : il fallut que George III, qui, par des billets presque journaliers, ne cessait de témoigner à lord Chatham la confiance la plus absolue, et de faire à son dévouement de pathétiques appels, lui annonçât l’intention de se transporter près de son lit, afin d’entendre de sa bouche les conseils qu’il ne pouvait plus recevoir de lui par l’intermédiaire de ses autres ministres. Pour prévenir la visite royale, il accorda enfin au premier lord de la trésorerie une audience qui, comme on le pense bien, ne produisit pas de grands résultats. Ainsi livrés à eux-mêmes et affaiblis par plusieurs défections, les ministres s’épuisaient en vains efforts pour attirer à eux quelques-uns des opposans. Ceux-ci se tenaient étroitement unis. Si de part et d’autre on était assez porté à transiger sur les principes, on l’était beaucoup moins à tomber d’accord sur le partage des emplois. Il n’était pas possible de faire une part à toutes les ambitions : aussi les négociations ouvertes avec le marquis de Rockingham ne tardèrent-elles pas à être rompues.

Dans ce cabinet dépourvu d’énergie et d’homogénéité, il y avait pourtant un ministre actif, ambitieux, doué de grands talens, qui, au lieu de s’effrayer comme les autres de l’abandon où les laissait la maladie de lord Chatham, s’en applaudissait, suivant toute apparence, parce que l’absence de ce grand homme ouvrait un libre champ à ses projets : je veux parler de Charles Townshend, chancelier de l’échiquier, dont l’éloquence, au témoignage de Burke, semblait devoir surpasser un jour celle de Chatham lui-même. Aspirant presque ouvertement à le remplacer, c’était en flattant les principes et les vues personnelles du roi qu’il comptait y parvenir. Dans cette pensée, il avait fait voter un bill qui imposait des droits sur l’importation dans les colonies américaines du thé et de plusieurs autres marchandises, ressuscitant ainsi la dangereuse querelle que le retrait de l’acte du timbre avait à peine commencé à calmer. Déjà Charles Townshend avait obtenu la pairie pour sa femme, il avait fait donner à son frère aîné la vice-royauté de l’Irlande, et il allait vraisemblablement former une nouvelle administration, lorsque (4 septembre 1767) la mort vint l’arrêter à l’entrée d’une carrière qui s’annonçait avec tant d’éclat. Il fut remplacé à l’échiquier par le célèbre lord North. D’autres modifications qui eurent lieu bientôt dans la composition du cabinet, en