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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

division de l’armée anglaise, celle du général Burgoyne, entourée par des force supérieures, s’était vue contrainte (16 octobre 1777) de mettre bas les armes. Cet échec, que lord Chatham avait prévu et annoncé, fit en Amérique, en Angleterre et dans toute l’Europe une prodigieuse sensation. Il donna à la nouvelle république cette conséquence que les succès militaires impriment seuls aux droits encore contestés. En portant au plus haut degré l’enthousiasme que la cause américaine excitait déjà dans les esprits, ouverts aux innovations politiques et philosophiques, il accéléra la marche des négociations que les envoyés des États-Unis suivaient depuis long-temps avec la cour de Versailles. Un traité d’alliance fut conclu entre le gouvernement de Louis XVI et celui des insurgés le 6 janvier 1778, au moment même où le cabinet de Londres se décidait enfin à proposer au parlement des moyens de transaction que, quelques années auparavant, l’Amérique eût à peine osé espérer.

Il paraît que dans ces conjonctures, d’autant plus menaçantes qu’alors l’Angleterre n’avait pas un seul allié, l’idée de reporter au pouvoir l’homme qui, à une autre époque, l’avait si glorieusement tirée d’une situation presque aussi difficile, et qui, dans ces derniers temps, en plaidant si éloquemment la cause des colonies, s’était acquis en Amérique une popularité immense, se présenta à quelques esprits. Il y eut même, entre des intermédiaires subalternes, un commencement de négociation, bientôt abandonnée, il est vrai, et dont il est assez difficile d’apprécier la véritable portée, parce qu’on peut supposer que ces intermédiaires avaient pris beaucoup sur eux. Ce qui est assez singulier, c’est que lord Bute, depuis si long-temps voué à la retraite, était mêlé à cette tentative. Lord Chatham refusa nettement d’accepter son concours, qu’on prétendit ensuite, et peut-être avec raison, ne lui avoir été offert que par suite d’un malentendu, et les choses en restèrent là. C’était un glorieux témoignage de la puissance morale attachée au nom de lord Chatham et au souvenir de son premier ministère que cet appel fait par l’opinion, au milieu des dangers de la patrie, à un vieillard accablé sous le poids des infirmités. Il n’y a probablement pas lieu de regretter, ni dans l’intérêt de sa propre gloire, ni dans celui du pays, qu’il n’ait pas répondu à un tel appel. Il est plus que douteux qu’en prenant la direction des affaires, et lors même que sa santé eût été moins altérée, il eût réussi à prévenir ou même à retarder des évènemens déjà presque accomplis. Quoiqu’il en soit de la démarche faite de la part ou au nom de lord Bute, il est certain qu’à cette époque le parti de la cour montrait