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L’ÎLE DE RHODES.

dailles ; voulez-vous des étoffes ? ils font monter un coffre noir et déploient des tissus d’or et d’argent ; aimez-vous les parfums ? ils lèvent un couvercle secret sous lequel se pressent des flacons d’essences, des pastilles du sérail, des bouts d’ambre destinés aux lèvres des femmes ; cherchez-vous des diamans ? ils connaissent le joaillier ; vous faut-il des provisions de table ? ils s’entendent avec le cuisinier ; ils sont blanchisseurs, cordonniers : demandez l’impossible, vous l’obtiendrez. Jamais, sur une de ces faces blanches comme une vieille pièce de monnaie, vous ne verrez paraître la rougeur de la honte ; injures, violences, tout passe sans laisser de traces ; le Juif courbe la tête sous le bras qui se lève, et revient pareil au chien se coucher devant son maître. Jamais les Israélites ne se révoltent dans l’enceinte des murs, où souvent ils sont plus nombreux que les Turcs, qui défendent aux chrétiens d’habiter les places fortes, mais qui laissent le Juif dormir à leurs pieds. Aussi, malgré la réprobation universelle qui l’accable, malgré le mépris qui le suit partout et qui fait que chrétiens, mahométans, se croiraient souillés par son contact ; malgré le yatagan suspendu sur son cou grêle, le Juif se répand partout en Orient ; fidèle à sa foi insultée, il se venge des avanies qu’on lui fait subir en rejetant avec dédain tous ces cultes nés d’hier que des hommes sans mission ont tirés des saints livres dictés par Dieu lui-même à son prophète sur les cimes foudroyées du Sinaï.

À Rhodes, les Juifs font le trafic des vins : ils vendent aussi des éponges que les plongeurs trouvent en grande quantité sur la côte ; mais là ne se bornent pas leurs spéculations, et au moyen du change, du courtage, de la contrebande, ils font dans tout le Levant un immense commerce invisible. Ces marchands de pastilles et de babouches qui rôdent dans les bazars, ou qui restent assis sur un mauvais tapis au coin d’une échoppe, ont des fortunes que les amendes et les confiscations ne sauraient tarir. Les Grecs, qui exploitent aussi l’Orient, ne peuvent, quels que soient leur activité, leur adresse et leur amour du gain, lutter contre les Juifs, qui semblent, comme l’aimant, attirer à eux le métal. Le Grec est bavard, il se décourage facilement et dispute autant pour un para que pour un sac de piastres ; le juif s’infiltre dans les affaires comme l’eau dans les roches, avec patience, sans bruit, sans éclat. À l’exception des principaux négocians, qui, trop connus des Turcs, ne peuvent espérer les tromper, les Israélites cachent tous leurs richesses : couverts de haillons, ils n’ont en public qu’une misérable boutique dont les objets étalés valent à peine quelques gourdes ; mais qu’un Européen se présente, aussitôt se dresse