Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/862

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
858
REVUE DES DEUX MONDES.

d’aimables causeries littéraires entremêlées de lectures confidentielles faisaient le charme de cette réunion toute choisie, où l’intimité la plus honnête, la plus tendre, régnait entre le professeur et les élèves. Au sortir de si sensibles épreuves, l’ame du poète se rassérénait dans cette atmosphère virginale, et cet esprit d’ordinaire si ombrageux, si indépendant, aimait à se mettre au niveau de ces imaginations de jeunes filles, dont il éclairait les curiosités instinctives aux lueurs d’une philosophie douce et modérée ; car on ne s’en tenait pas aux simples questions poétiques, et de temps à autre les points les plus délicats étaient touchés. Ainsi un jour une des jolies disciples demande au maître de lui exposer dans une lettre ses idées sur l’immortalité de l’ame. L’immortalité de l’ame ! s’écrie alors Jean-Paul ; mais il y aurait là de quoi écrire des volumes, et vous parlez d’une lettre ; mais c’est là un sujet qui sillonne la création entière, qui serpente à travers les mondes et les siècles, dont le nom seul rouvre à l’instant dans la tombe tous les yeux que la mort a fermés. L’immortalité de l’ame ! mais il serait plus aisé d’en parler tout un jour que d’en parler une heure ! » Néanmoins Jean-Paul se met en devoir de répondre peu de temps après, il adresse à sa blonde métaphysicienne une dissertation en règle sur la durée de l’ame et sa conscience après la mort : programme éblouissant où je trouve en germe les idées principales qui fleuriront avec magnificence dans la Vallée de Campan. Il va sans dire que la teinte poétique domine, et qu’en cette philosophie de sentiment la démonstration n’affecte pas un tour bien rigoureux ; cependant, à n’envisager que le but qu’on se propose, en tant que prélude à de grands travaux qui plus tard atteindront leur harmonie, c’est parfait. Vous diriez un papillon émissaire lâché dans l’azur attiédi d’une de ces belles journées par lesquelles s’annonce le printemps. Je ne résiste pas au plaisir d’extraire une pensée de ce discours, qu’il faudrait pouvoir donner dans son ensemble. « Ce n’est qu’à la condition d’avoir les yeux tournés vers une autre vie, reprend Jean-Paul en terminant, que celle-ci nous deviendra supportable ou heureuse ; de même que l’arc-en-ciel, en s’arrondissant au-dessus de nos têtes, embellit encore pour nous le spectacle de la terre en fleur, ainsi ce que nous cherchons dans l’autre vie prête du charme à tout ce que celle-ci renferme. »

À mesure qu’on s’oublie à contempler le docte groupe, on voit s’en détacher trois aimables figures : Hélène, Renée, Caroline. Je cite leurs noms de jeunes filles, les seuls qui se rencontrent dans la correspondance de Jean-Paul. Quant aux autres, ils importent peu, et ce