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autre qu’un pendant à la Biographie conjecturale, dont il se borne à varier l’idylle.

De 1797 à 1802 parut Titan. Pour peu qu’on pénètre au cœur de cette composition éminente, on sera tenté de soupçonner avec nous que Jean-Paul a voulu porter par-là une sorte de défi à Wilhelm Meister. En effet, quelles que soient les divergences qui vous frappent d’ailleurs, on ne peut s’empêcher de reconnaître une certaine préoccupation du roman de Goethe dans cette œuvre grandiose maintenue au niveau de l’épopée. Le héros du livre, Albano, comte de Cesara, est encore une de ces natures en proie à l’idéal, un de ces esprits de flamme qui mesurent à des compas de géant toute chose en ce monde, et qu’une volonté sans frein, une prodigalité de ces trésors de la tête et du cœur, dont ils furent comblés, entraînent de faute en faute vers l’abîme. On a reproché à Jean-Paul de prendre trop ouvertement la cause de ces erreurs et de ces faiblesses ; mais en bonne conscience pouvait-il faire autrement, lui si amoureux de toute force neuve, lui dont la mélancolie rétrospective évoquait le printemps d’autrefois à travers les brumes de l’âge ? Du reste, le thème ici prêtait à l’enthousiasme de l’écrivain, au lyrisme du poète. Quoi de plus saint en effet, de plus pur, que ce rayon de céleste lumière qui perce le chaos d’une ame adolescente, et que nous appelons le premier amour, la première amitié, le premier élan vers la vérité ? Il faut voir avec quelle irrésistible puissance d’émotion, avec quelle magnificence d’images tout cela est décrit dans ces pages brûlantes où le sentiment de la nature emprunte les plus riches nuances au prisme enchanté de l’idéal. — Cependant plus d’une épreuve attend notre héros. Le besoin extravagant d’aimer, cette rage d’épancher sur tout ce qu’il rencontre les laves sympathiques d’un cœur qui déborde, ne tardent pas à tourner contre son bonheur. Il met sa foi dans un indigne ami ; la jeune fille qu’il adore meurt, ombre charmante à peine entrevue au clair de lune. Alors une vie nouvelle s’offre à lui : l’action. Échappé à cette nébuleuse atmosphère du rêve, il se dispose à prendre part à la guerre de l’indépendance allemande : effort sublime que déjoue la titane Linda, dont il s’affole, pour voir, comme dans ses amours avec Liane, ses espérances les plus belles presque réduites à néant. On le voit, la conclusion rappelle Wilhelm Meister. Enfin, après tant de rêves et de combats, Albano hérite de la souveraineté paternelle, et se résigne à descendre des hauteurs de la voie lactée dans « la sphère intermédiaire du gouvernement, » ce qui, soit dit en passant, nous paraît un assez bizarre moyen de consolation à donner à tant