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REVUE. — CHRONIQUE.

dont l’autorité politique a reçu de graves atteintes. La certitude morale que le cabinet dont M. Guizot est le chef effectif ne saurait être chargé de cette épreuve décisive est un fait presque universellement admis dans les rangs du parti conservateur. Une telle croyance n’est pas assurément la moindre cause d’affaiblissement pour le cabinet ; c’est presque toujours en vue d’une perspective électorale que l’on accorde son concours à un ministère, et lorsque celui-ci ne vit plus que dans le présent, la force qui le soutient est bien près de se retirer de lui.

La réconciliation de M. Thiers avec le parti dont il s’était séparé lors de la loi de régence, et qu’il avait puni de ses reproches et de ses soupçons par un silence d’une année, cet évènement parlementaire si inattendu et si grave est-il de nature à consolider la situation du cabinet, et à ouvrir devant lui des perspectives plus assurées et plus lointaines ? On peut en douter. En montrant un homme d’état d’une autre chambre comme le successeur probable du cabinet, les circonstances ont fait disparaître la principale objection qui retenait une assez grande partie des centres dans une fidélité douteuse. Depuis long-temps, la formation d’un cabinet de conciliation, sous la prédominance de l’élément conservateur, est appelée par les vœux d’une partie notable du parlement et par les besoins mêmes du pays. Il y a aujourd’hui à accomplir une œuvre analogue à celle que le ministère du 15 avril reçut en héritage du ministère du 6 septembre. Dans la chambre, la majorité est faible et flottante au dehors, l’irritation est partout, et depuis long-temps la lutte n’avait été aussi vive. Le vote regrettable de la flétrissure a réveillé des espérances et des ressentimens éteins ; un jour d’irréflexion a failli compromettre l’œuvre opérée par quatorze années de sagesse et de modération. Le ministère s’est trouvé tout à coup engagé dans des mesures en opposition directe avec la politique qu’il prétendait suivre ; l’habileté et la fortune lui ont manqué à la fois. Les hommes qui n’ont pas su éviter de telles fautes auront moins que d’autres la puissance de les réparer. Des élections préparées par les mains qui ont appliqué la flétrissure morale à un parti trouveraient vraisemblablement ce parti tout entier dans les rangs des adversaires du pouvoir, et personne n’ignore que la portion modérée de l’opinion légitimiste forme l’appoint d’un quart environ des élections conservatrices. Le gouvernement paraît invinciblement entraîné par la force des choses vers une double nécessité : il doit, au sein de la chambre, élargir sa base en ralliant le centre gauche au centre droit ; il doit, au dehors, essayer une politique de conciliation en appliquant, dans une situation différente et agitée, une sorte d’amnistie morale.

La composition d’un cabinet, s’il se formait sur de telles bases et avec une semblable mission, ne présenterait plus aujourd’hui les difficultés qu’elle a pu offrir en d’autres temps. On assure que les hommes politiques des diverses nuances sont libres de tout engagement, et qu’aucune solidarité d’honneur ne les lie irrévocablement entre eux ; on a d’ailleurs tout lieu de les croire disposés à s’associer de leurs efforts et de leurs personnes à une œuvre qui