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bitieux n’enfante plus que des vertus apparentes, et comme l’ambition ne connaît pas de limites, comme elle s’irrite par le succès, tout bonheur disparaît, et de grandes conquêtes (magna latrocinia) terminent dignement une époque où la force tend à remplacer la justice.

À la troisième époque, c’est une nouvelle décadence. Fatiguées de la guerre, les nations se tournent vers l’industrie et le commerce, elles préfèrent la richesse à la puissance ; pour s’enrichir, elles oublient de se fortifier, et les hommes songent beaucoup plus à eux-mêmes qu’à l’état. La corruption est au comble dans la quatrième époque ; au milieu des richesses, un but plus frivole encore, le plaisir, se présente, et les nouvelles générations prodiguent dans le luxe les trésors accumulés par l’avarice des générations antérieures. La société, plus brillante à la surface, se décompose au fond : chaque citoyen se préfère à l’état, qui n’est plus qu’une abstraction ; on ne sait résister ni aux révolutions intérieures, ni au choc des invasions.

Telle est la loi des peuples ; c’est une loi de déchéance ; ils s’affaiblissent en vieillissant. En effet, nous pouvons apprécier la capacité de l’intelligence par les quatre mesures de l’abstraction, du nombre, du temps, de l’espace, c’est-à-dire par son aptitude à abstraire, par le nombre des objets quelle domine, et par le temps et l’espace qu’elle embrasse. Dans la première époque, l’intelligence des masses s’attache à la fondation et à la défense de l’état ; sa capacité embrasse l’abstraction, le nombre, le temps et l’espace, limités par les confins de la patrie. Dans la seconde époque, la guerre inspire des désirs illimités de puissance et de gloire ; on veut tout soumettre, les choses et les hommes pour l’éternité, et quand la conquête se réalise, elle impose aux conquérans l’art de gouverner, le plus difficile et le plus abstrait de tous les arts. De là le génie des peuples conquérans. Malheureusement la conquête introduit l’esclavage, l’ambition entraîne l’égoïsme ; l’intelligence, tout en embrassant les arts de la guerre, limite son essor à un but individuel. Sa capacité, qui a semblé s’étendre, diminue donc en réalité. À la troisième époque, l’intelligence se développe encore sous les quatre aspects que nous avons indiqués. Le génie de l’industrie et du commerce est inépuisable en inventions, il embrasse d’innombrables objets, il soumet tout au calcul, il franchit toutes les limites de l’espace pour mettre en communication tous les peuples de la terre ; sa prévoyance recule les bornes du temps, et ses abstractions s’emparent de tous les rapports de la société, parce que tout tient à tout dans un état fondé sur le commerce. Cependant le but de l’industrie est mille fois plus borné que celui de l’ambition,