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trace de grandeur. Et l’on ne se borne point à dire que la raison peut conduire au panthéisme, ni même qu’elle y incline ; on soutient qu’elle y aboutit fatalement, comme une cause produit son effet nécessaire, comme un principe conduit à sa conséquence inévitable.

Quelle est donc cette vertu mystérieuse et toute-puissante que possède le panthéisme d’attirer vers soi toute pensée libre, toute ame philosophique ? Il n’y a point ici de hasard, ni apparemment de miracle. Cet irrésistible attrait du panthéisme ne lui saurait donc venir que de son parfait accord avec les tendances secrètes et l’essence même de la raison. Mais alors la raison dans son fonds le plus intime, dans ses lois les plus universelles, est donc panthéiste. Le panthéisme est donc un système de philosophie essentiellement et parfaitement raisonnable, que dis-je ? c’est le seul raisonnable. Quiconque suit la raison d’un esprit libre et ferme ne peut manquer d’être panthéiste, et tout philosophe qui rejette le panthéisme est un hypocrite ou un esprit faible. Or, si la raison, dans ses conceptions nécessaires et ses immuables lois, réfléchit la vérité même, il s’ensuit que le panthéisme, étant conforme à la raison, est aussi conforme à la vérité, et qu’étant le seul système raisonnable, il est aussi le seul véritable. En un mot, le panthéisme est le vrai.

Voilà où conduit la polémique du clergé, pressée par une logique un peu rigoureuse. Voilà l’abîme où elle veut précipiter la raison. Certes la témérité de Pascal était grande, quand il laissait échapper cette mémorable parole : « le pyrrhonisme est le vrai. » Mais quoi ! le clergé se récrie contre un tel excès. Il s’indigne même qu’on l’impute à Pascal, et, par des correctifs imaginaires et de vains raffinemens, il essaie d’atténuer, d’affaiblir ce mot énergique et désolant, ce cri d’une ame que le doute avait profondément troublée. Aveuglement étrange, singulière inconséquence ! Le clergé s’inscrit en faux contre le scepticisme de Pascal, et lui-même, que fait-il ? il l’imite, et je dis plus, il le surpasse. Pascal disait : Point de milieu entre le catholicisme et le scepticisme, et il ne voyait pas que cette terrible alternative était plus propre à faire des sceptiques qu’à affermir de vrais chrétiens. Les écrivains du clergé disent aujourd’hui : Point de milieu entre le catholicisme et le panthéisme, et ils ne s’aperçoivent pas que cette alternative est tout aussi fausse et mille fois plus dangereuse que celle de Pascal. Le scepticisme, en tout temps, est une doctrine désolante, sans attrait pour le cœur, sans prestige pour l’imagination, contraire à tous les instincts, à tous les besoins de notre nature ; et on peut dire qu’au siècle de Descartes et de Bossuet, ce pyrrhonisme absolu où se