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nales. N’est-il pas étonnant, après tout cela, que, des rois de race autrichienne, il soit le seul sur lequel l’histoire ne se soit pas encore suffisamment expliquée ? Au premier aspect, rien de mieux arrêté que la physionomie d’un prince qui, détruisant les fueros et les immunités municipales, infligeant à son fils une mort violente, semblait à la fois se faire un jeu lugubre des sentimens de famille et des destinées d’une grande nation. Eh bien ! si l’on s’en rapporte à la jeune école d’historiens qui actuellement domine en Espagne, ce ne sont là que des erreurs et des calomnies qu’il faut enfin redresser. Il s’est opéré dans la Péninsule, en faveur de Philippe II, une réaction tout-à-fait semblable à celle qui, en France, a essayé de réhabiliter Louis XI. On ne conteste point, il est vrai, on ne cherche pas même à justifier ses entreprises contre les libertés publiques ; mais à quoi bon s’en émouvoir ? n’était-ce point là l’esprit de son siècle ? Pourquoi Philippe II n’y aurait-il point cédé, comme plus tard l’ont fait Richelieu et Louis XIV ? C’est par leur respect pour les formes de la justice, que les rois des trois derniers siècles pouvaient témoigner de l’élévation de leur esprit, de leurs intentions généreuses et patriotiques : si l’on excepte don Pèdre, quel autre prince en Castille a de meilleurs droits que Philippe II au beau surnom de roi-justicier ? Ne parlez plus de don Carlos, ni de sa longue captivité, ni de son agonie douloureuse ; les historiens, les romanciers, les poètes, de Mariana à Schiller, se sont bien à tort attendris au souvenir de ce jeune prince : ambitieux, remuant, dissimulé, toujours prêt à fomenter des intrigues et à susciter des insurrections, s’il encourut la disgrace du roi, faut-il que l’on s’en étonne ? Et quant à la conduite dénaturée que l’on impute au père, c’est là, — pourquoi ne point avoir le courage de le dire ? — une abominable invention des ennemis sans nombre qu’avait valus à Philippe II sa rigoureuse et impitoyable politique. Il y a dans un coin de l’Escurial toute une procédure secrète qui infailliblement convaincrait les plus incrédules ; si jusqu’à ce jour on ne l’a point publiée, c’est qu’il ne convenait point aux vieux régimes absolus de s’expliquer ainsi nettement à la face des peuples. — Mais, à ce propos, M. Bermudez de Castro, hier encore secrétaire du conseil des ministres, aujourd’hui ambassadeur, n’est-il pas bien placé pour entreprendre une si curieuse publication ?

La triste fin de don Carlos n’est point le seul grief que l’histoire élève, au nom de l’humanité, contre le fils de Charles-Quint. De bonne foi, nous le demandons à la jeune école, est-il bien aisé de comprendre qu’un si scrupuleux observateur des formes de la justice ait fait secrètement mourir Escovedo, le confident du premier don Juan d’Autriche ? À Dieu ne plaise pourtant que cela embarrasse les apologistes ! C’était, on en convient, fouler aux pieds les plus vieilles lois de l’Espagne ; mais qu’importe après tout ? Si don Juan Escovedo a subi une mort ignominieuse, c’était la digne récompense des menées par lesquelles il entretenait et exaltait l’ambition de son maître ; s’il l’a subie dans le vade-in-pace d’une résidence royale, c’est à Pérès qu’il faut s’en prendre : non content d’avoir conseillé le meurtre, Pérès en préci-