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voyons en Espagne que le gouvernement qui s’en puisse charger. En présence des investigations patientes qui se poursuivent, non pas seulement à Londres, mais à Paris et dans les principales villes de l’Allemagne, le gouvernement de Madrid ne pourra décliner cette mission, du moment où l’Espagne jouira de cette paix féconde où se régénèrent les peuples. Depuis long-temps, Dieu merci, l’Espagne est revenue du sombre ressentiment que les guerres de religion et de race lui avaient laissé à l’égard des Arabes. Par l’histoire de l’inquisition, chacun a pu apprendre combien l’humanité a souffert de ce ressentiment ; on jugera par les faits suivans de ce qu’il a coûté aux arts, aux lettres et aux sciences. Pour hâter la conversion des Maurisques, l’archevêque de Grenade don Hernandez de Talavera avait fait composer un catéchisme arabe ; il avait demandé en outre que la messe pût être célébrée dans la langue du vaincu. Le gouvernement, le clergé, le peuple, ne voulurent rien entendre ; le cardinal Ximenès ne se borna point à condamner les projets de l’archevêque : en 1499, il fit brûler en une seule fois, cinq mille manuscrits arabes, enrichis de très beaux dessins. De cet auto-da-fé, l’inflexible ministre ne daigna préserver qu’un très petit nombre de livres de médecine, dont il fit présent à l’université d’Alcala. En 1526, ce fut encore par un acte de vandalisme tout aussi révoltant que se terminèrent les persécutions dans lesquelles disparurent les Maurisques du royaume de Valence. Cent ans plus tard, on déplorait amèrement de si grandes pertes. En 1611, don Pedro de Lara avait capturé deux vaisseaux du roi de Maroc, contenant trois mille manuscrits sur la philosophie, la littérature, les sciences, le gouvernement des Arabes d’Espagne. À diverses reprises, le prince maure offrit pour les racheter des présens magnifiques et des sommes énormes ; le comte-duc d’Olivarès refusa constamment de les rendre, et les fit transporter à la bibliothèque de l’Escurial. Ces manuscrits souffrirent beaucoup en 1671 de l’incendie qui dévora une partie de cette bibliothèque ; mais, en dépit de ce désastre, la plus riche collection de livres arabes consacrés à la philosophie, à la théologie, à la littérature, à la jurisprudence, se trouve encore à l’Escurial.

À dater de Philippe III, c’est à peine si, de temps à autre, de laborieux érudits viennent péniblement épeler quelques phrases dans les chroniques et les manuscrits arabes. En 1770 pourtant, Charles III ordonna que l’on en fit un exact inventaire ; c’était l’année où il installait l’enseignement des langues orientales dans le beau collége de San-Isidro-el-Réal. Charles III est un Louis XIV qui n’a pas eu de Colbert. Casiri dressa son catalogue, et puis tout fut dit : dans un recoin poudreux de la royale résidence, manuscrits, histoires, chroniques, ont depuis cette époque profondément sommeillé. « Cela fait bouillir le sang, et le cœur s’en irrite, hierve la sangre, indignase el corazon, » s’écriait, il y a deux ans, M. Gonzalo Moron dans un article éloquent de la Revista de España y del Estranjero, où il s’indignait que, durant la troisième période constitutionnelle, pas un ministre n’eût songé à tirer parti de ces inappréciables richesses. Aujourd’hui précisément,