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notre existence même, nous forcer à demander secours aux terribles désespoirs dont parle le vieil Horace ?

Lorsqu’on attribue à l’Angleterre la pensée de la guerre, c’est par un autre intérêt qu’on la suppose dirigée : c’est sa constitution économique et les besoins de son industrie que l’on considère. On se souvient que, durant les luttes de la république et de l’empire, l’industrie et le commerce britanniques ont pris un développement immense ; on se rappelle que, malgré les charges énormes que la guerre imposait à ses finances, la prospérité intérieure du royaume-uni s’est accrue avec une rapidité prodigieuse et dans des proportions colossales ; on sait également que les profits de l’industrie anglaise ont diminué depuis la paix, que ses embarras, au contraire, se sont chaque jour multipliés depuis lors, que c’est à la suite de la pacification du monde que l’industrie anglaise s’est trouvée soumise à ces dilatations maladives et à ces contractions douloureuses que les fiévreux soubresauts de la concurrence et des crises commerciales amènent périodiquement à des époques rapprochées et comme avec une nécessité mathématique. On compare donc l’Angleterre durant la guerre à l’Angleterre durant la paix, et l’on conclut que l’état de guerre est celui que préfèrent les intérêts économiques du royaume-uni. Cette conclusion est fausse. Les prospérités de l’Angleterre durant les guerres de la république et de l’empire ne tiennent pas à l’Angleterre seule ; elles sont la conséquence de la situation du reste du monde à cette époque. Cette situation était celle-ci : tandis qu’en Angleterre de magnifiques découvertes dans les sciences mécaniques venaient donner aux forces industrielles une multiplication de puissance miraculeuse, tandis que les capitaux accumulés déjà en Angleterre se trouvaient ainsi posséder des instrumens qui mettaient leurs produits au-dessus de toute concurrence étrangère, le continent européen, dévasté par la guerre, était détourné des préoccupations industrielles et commerciales. L’Europe se battait, elle s’épuisait, elle se ruinait dans la guerre ; mais l’Angleterre produisait pour elle, elle lui vendait ses produits, et elle réalisait d’énormes bénéfices, dont elle plaça une partie considérable, environ 15 milliards, dans les emprunts que les besoins de sa politique lui firent contracter.

Une guerre avec la France ramènerait-elle une situation semblable ? C’est impossible. En supposant, ce qui est invraisemblable, ce que le ministère est inexcusable de laisser dire par ses journaux, que les grandes puissances européennes dussent toujours faire cause commune avec l’Angleterre dans une guerre contre la France, l’Angleterre