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Pour dissimuler les défauts de sa poésie et faire croire à des qualités qu’il n’a pas, M. Barthélemy devrait toujours être en colère. Quand il est au repos, et c’est l’état qu’il a désormais choisi, on s’aperçoit que chez lui l’invention est peu féconde, et que ce cœur qui fait les hommes éloquens est en congé. Sa forme est pleine, correcte et froide ; elle a quelque chose de métallique :

Talleyrand Périgord, prince de Bénévent,

voilà un vers de M. Barthélemy, un vers type. On sait que la nature ne l’a jamais attiré, et que ce n’est pas lui que la rêverie entraîne au fond des bois. On le lirait tout entier sans trouver un seul vers inspiré par la tendresse ou l’amour. Un souffle printanier n’a jamais traversé sa poésie. Dieu me garde de le comparer à Boileau pour les grandes qualités de ce dernier, mais on peut dire qu’il est plus sec que lui, car Boileau a écrit l’Épître à Lamoignon. Aussi a-t-on dû comprendre, lorsque Némésis a pris la fuite, que M. Barthélemy se soit livré à des travaux de traduction, et qu’il ait même réduit son système de traduction vers par vers à une sorte de casse-tête poétique. Le meilleur conseil qu’on pourrait lui donner, ce serait, en modifiant son étroit système, de continuer à traduire. On dit qu’il va s’attaquer à Juvénal ; rien de mieux, pourvu qu’il se réfugie dans cette étude comme dans une retraite, et qu’il consente à ne plus faire de sa muse une enseigne de charlatan ou de tabagie.

Nous avons été sincère envers les trois poètes qui viennent de passer devant nous. Eût-il mieux valu déguiser une partie de la vérité et balancer à tour de bras l’encensoir ? Eût-il mieux valu imiter le marquis de Mirabeau, père de Mirabeau, singulier homme et singulier critique littéraire ? Durant tout un volume qu’il écrivit sur les Psaumes sacrés, de Lefranc de Pompignan, il est à genoux devant le poète, qu’il appelle divin ; il admire, il admire sans se lasser. Les vers rocailleux sont expressifs, tout ce qui est obscur est sublime, les chevilles elles-mêmes deviennent des traits profonds. Voilà de la critique. Est-ce celle-là qu’on demande ? Est-ce ainsi que l’ententendent ceux qui accusent la critique actuelle d’un excès de sévérité ?

Si les gens qui reprochent à la critique d’être trop sévère parlent sérieusement, ils ne voient pas bien. Qu’on me montre un excellent livre tombé sous la critique, et à l’instant même j’en montrerai cent dont elle a fait ou laissé faire la fortune. Ne savons-nous pas ce qui se passe ? Quand un écrivain renommé jette un ouvrage au public, n’a-t-il pas l’habitude de prendre des précautions et de faire sa ronde ? S’il désire qu’on se taise, car il y a des éloges qui sont impossibles, il encloue les canons ; s’il veut qu’on fasse du bruit, il met lui-même le feu à la mèche. On dira qu’il y a des critiques injustes qui, après avoir été contraints de chanter sur un mode élevé les louanges d’un ouvrage manqué, veulent se dédommager le lendemain, et se mettent en train de tout nier, de tout insulter ce jour-là ; ils vont jusqu’à