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depuis le desembargador jusqu’au pauvre juiz municipal, tendre la main et ne rendre une sentence qu’après avoir été largement rétribués.

La vénalité des juges n’a d’égale que leur effronterie. Un avocat chargé d’une cause importante avait reçu du plaignant une somme considérable pour la répartir entre les juges, près desquels le plaignant n’osait jouer lui-même le rôle de corrupteur. L’avocat s’acquitta de sa commission, et, au bout de quelques jours, un juge vint se plaindre d’avoir reçu moins que ses confrères : il avait droit à plus, et réclama la différence. On comprend quelle doit être l’attitude des familles puissantes en présence d’une administration à ce point corrompue. La justice leur est, pour ainsi dire, entièrement soumise. A Fernambouc, il y a des familles riches qui tiennent des assassins à leurs ordres. Si un de ces hommes est conduit en prison pour un meurtre, il n’y restera que quelques jours, car aucun juge n’osera commencer une procédure criminelle contre lui. D’ailleurs, on ne trouverait pas de témoins qui osassent déclarer la vérité. L’on condamne seulement les assassins qui, ne pouvant invoquer une protection puissante, n’inspirent aucune terreur. Nous n’en finirions pas si nous voulions citer des exemples à l’appui de nos paroles. Voici deux faits qui nous dispenseront d’un plus long commentaire.

Un meurtrier avait été arrêté au Para ; la famille de la victime ayant mis quelque persistance dans ses poursuites judiciaires, cet homme allait être condamné, quand il eut l’idée de recourir à la corruption pour se tirer d’affaire. Il convint donc avec le chef de la justice, le docteur Jaguarete, que, s’il était acquitté, il lui remettrait six cents francs. Il n’en fallait pas davantage, et l’assassin fut renvoyé absous ; mais à peine libre, il oublia son engagement. Quelques mois plus tard, le docteur Jaguarete, ayant appris que ce même homme venait de livrer des marchandises à un négociant, se présenta pour en toucher le prix, expliquant sans nul détour les motifs de l’obligation contractée par son débiteur, qui, sans cette convention, eût été condamné comme assassin. — Un négociant, nommé Abron, qui se livrait à un commerce important entre Belmonte et Minas-Novas, vivait avec une jeune fille ; cet homme eut le malheur de parler devant le frère de sa maîtresse des sommes considérables qu’il possédait. Le frère, qui avait jusqu’à ce jour approuvé les rapports de sa sœur et de son amant, conçut dés-lors le projet d’assassiner le négociant, et il l’exécuta. La justice du pays prit part aux dépouilles de la victime ; meurtrier et juge se partagèrent les marchandises et l’argent. Sur ces entrefaites, un neveu du mort, espérant obtenir les débris de la succession