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même. Si l’empereur résiste, les hostilités seront reprises contre lui et poussées avec vigueur. S’il est trop faible pour éloigner Abd-et-Kader de notre territoire et de son empire, la France se chargera de ce soin. Nos armées feront la police dans l’empire du Maroc.

Voilà de belles résolutions ; mais que de difficultés si la guerre continue ! que d’embarras naîtront d’une première faute, celle d’avoir pris, entre les mains de l’Angleterre et à la face du monde, l’engagement de ne poursuivre aucune extension de territoire sur le Maroc ! L’Algérie nous suffit, cela est vrai, et la France ne veut pas conquérir le Maroc ; mais pourquoi l’avoir dit ? pourquoi s’être lié les mains ? pourquoi avoir donné cette arme contre nous ? Peut-on d’ailleurs prévoir les nécessités de l’avenir ? Si la France se trouve forcée de faire une guerre dangereuse, et d’entretenir des armées dans le Maroc, avec des escadres sur les côtes d’Afrique ; si des revers se mêlent à ses victoires, si elle fait d’immenses sacrifices, qui l’indemnisera ? Et si les indemnités offertes ne sont pas suffisantes, où prendra-t-elle des compensations ? Il faudra bien alors que la parole de M. Guizot soit retirée. Heureusement M. Guizot n’a pu engager que lui seul ; il n’a pas engagé la France.

L’Angleterre paraît s’être calmée, depuis quelques jours, au sujet de nos affaires du Maroc. Elle a changé de langage sur le mérite de nos opérations militaires. Les calomnies absurdes dirigées contre notre escadre ont été l’objet d’un blâme public ; nous les avions déjà oubliées. Au reste, les affaires de Taïti et du Maroc ont perdu aujourd’hui le privilège de fixer exclusivement l’attention de la Grande-Bretagne. Ce qui l’occupe surtout en ce moment, c’est le triomphe d’O’Connell, rendu à la liberté par un grand acte de justice. Le jugement de la chambre des lords est un évènement mémorable. Il témoigne au plus haut degré de ce respect de la loi, qui est une des vertus constitutionnelles de l’Angleterre. Acquitté par un tribunal anglais qui a placé la justice au-dessus des haines politiques et des intérêts de l’état, le libérateur de l’Irlande va-t-il rentrer dans l’arène avec les passions qu’il y a portées autrefois ? Nous espérons pour sa gloire, et dans l’intérêt de l’Irlande, qu’il saura user avec modération de son triomphe. Jusqu’à présent, il a su se contenir ; ses paroles sont pacifiques et conciliantes ; il semble vouloir rester dans une voie légale : c’est le plus sûr parti qu’il puisse prendre pour désarmer les résistances de l’Angleterre et pour défendre utilement les droits de son pays. La délivrance d’O’Connell est un grave échec pour M. Peel. Les tories adressent de vifs reproches au cabinet. Ils suspectent sa loyauté et sa bonne foi. Si la puissance d’O’Connell grandit, si l’agitation du rappel recommence, la majorité de M. Peel, déjà divisée sur des questions importantes, s’ébranlera ; le parti qu’il a si durement gouverné pendant long-temps cherchera peut-être un autre chef.

La présence de M. de Nesselrode à Londres pendant nos démêlés avec le cabinet anglais ne pouvait manquer de fixer l’attention de l’Europe. On a formé sur cet incident bien des conjectures. On a parlé d’un projet de partage de l’empire ottoman entre l’Angleterre et la Russie. Ce fait n’aurait rien