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d’œil. Et cela indépendamment de la grandeur de leurs esprits et de la nature des idées.

Se prévaloir contre la foi de Pascal de certain mode d’argumentation qu’il emploie hardiment et qui impliquerait le scepticisme absolu au défaut de la foi, c’est supposer ce qu’il s’agit précisément de démontrer, c’est oublier combien cette foi faisait peu défaut en lui, combien elle était pour lui chose réelle, pratique, sensible et vivante. Et qu’on ne dise pas que ce christianisme de Pascal était particulier, bizarre, excessif, en dehors des voies générales ; je ne nie pas qu’il n’ait eu quelques singularités de pratique ou d’expression ; mais dans le fond son christianisme ne diffère en rien du véritable et, j’oserai dire, de l’unique. Il est vrai qu’on est très tenté de méconnaître celui-ci, tant on le voit souvent métamorphosé et sécularisé.

L’éditeur actuel de Pascal, M. Faugère, qui vient de pratiquer de si près son auteur, incline, d’après plusieurs passages, à le ranger parmi les mystiques. Je ne contesterai pas cette qualification, si par mystique il est entendu qu’il s’agit surtout ici d’un chrétien, qui sans négliger les raisons et preuves qui parlent à l’intelligence, met la raison de sentiment au-dessus des autres. La foi parfaite, c’est Dieu sensible au cœur !

« Et c’est pourquoi, lit-on dans une pensée inédite, ceux à qui Dieu adonné la religion par sentiment du cœur sont bienheureux et bien légitimement persuadés ; mais à ceux qui ne l’ont pas, nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment de cœur, sans quoi la foi n’est qu’humaine et inutile pour le salut. »

Ainsi, Pascal ne blâme pas la recherche ni la preuve rationnelle ; loin de là, il l’admet et en use à titre de préparation humaine ; on fait ce qu’on peut, et Dieu vient après. On prépare la machine (il affectionne cette expression), et l’ame ensuite y descend ; Dieu y met le ressort.

« Les hommes ont mépris pour la religion, dit-il encore ; ils en ont haine, et peur qu’elle soit vraie. Pour guérir cela, il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison ; qu’elle est vénérable, en donner le respect ; la rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie, et puis montrer qu’elle est vraie : — vénérable parce qu’elle a bien connu l’homme, aimable parce qu’elle promet le vrai bien. » On n’aurait que le choix entre les passages pour faire voir que Pascal n’avait nullement dessein de pousser les choses à l’absurde, comme on le pourrait augurer d’après certaines