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REVUE. — CHRONIQUE.

inépuisables ressources ; Java jette trop de café sur les marchés de l’Europe ; Java peut produire de l’opium ; le Japon, cet ultima Thule des fabricans du Lancashire, ne reçoit encore que des marchands bataves. La Hollande perdra, si elle n’y prend garde, et le Japon et Java. La nécessité contraindra l’Angleterre à profiter de la première occasion pour les lui enlever. Le gouvernement hollandais le sait bien. C’est pour détourner ce coup qui réduirait à la banqueroute un peuple immensément obéré, c’est pour ne pas compromettre le gage le plus solide de sa dette publique que ce gouvernement caresse l’Angleterre, et qu’en cas de guerre maritime il se mettrait peut-être à sa merci. Mauvais calcul : toutes les puissances qui ont compté sur ces sortes d’alliances où la force et la convoitise sont d’un côté, la faiblesse et l’objet convoité de l’autre, n’ont pas tardé à se repentir. Alliée ou non à la Hollande l’Angleterre obéira d’abord à la voix de son intérêt : les nécessités fatales de sa grandeur lui défendent à jamais d’être juste et d’être généreuse.

En est-il, de même de la France ? Faut-il que, pour rester grande, elle détruise des flottes, elle conquière des colonies ? Non, une mission bien différente lui est tracée par sa position géographique, par son histoire navale, par ses malheurs même ; elle est placée entre l’Angleterre et les marines secondaires pour protester contre la souveraineté de la mer, pour défendre les droits des faibles et l’indépendance des neutres : mission désintéressée qui ne convient qu’à elle seule, parce que seule elle est, quoi qu’on en dise, capable de se passionner et de combattre pour l’honneur des principes européens.

Le Journal de La Haye craint que, si jamais la France obtenait la suprématie maritime, elle ne menaçât la liberté des états du continent. Sérieusement le Journal de la Haye ne croit pas ce qu’il dit là. D’abord il sait bien qu’il n’est pas dans la nature probable des évènemens à venir que la France domine jamais sur la mer. Il ne se prépare rien, de nos jours, qui puisse faire espérer ou craindre, comme on voudra, que notre puissance navale soit autre chose qu’une résistance. Mais quand le sceptre maritime (nous admettons un moment l’impossible) passerait des mains de l’Angleterre à celles de la France, les marines secondaires devraient-elles commencer à trembler, s’il est vrai que la position insulaire de sa rivale suffise à présent pour écarter toutes leurs craintes ? Le continent serait-il voué désormais a un inévitable esclavage ? À cette assertion spécieuse notre réponse sera facile ; c’est l’histoire même de la Hollande qui nous la fournira. L’Espagne, au début du règne de Philippe II, était en pleine possession de la suprématie maritime et continentale ; les Provinces-Unies n’existaient pas. À la fin du XVIe siècle, de ce siècle qui avait vu avec terreur se dresser sur les deux mondes le fantôme menaçant de la monarchie universelle, il y avait un peuple de plus en Europe, un pavillon de plus sur l’océan. Un demi-siècle plus tard, cette république d’un million de citoyens à peine, maîtresse de la mer, était l’arbitre de l’Europe à la paix de Westphalie, et, chose plus éton-