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çà et là ; le bruit des anneaux de cuivre qui trahissent une marche ferme et hâtée s’éloigne peu à peu, et un sommeil bienfaisant enveloppe ces familles patriarcales aux mœurs sauvages, inaltérées. De bonne heure, au matin, la troupe se remet en voyage, et elle cherche pour la halte du jour des lieux ombragés. Elle campera cette fois sous les branches tortueuses de l’anarcadium (le cashew des Anglais), dont les enfans aiment à cueillir les fruits rouges, ou sous les voûtes que forme le figuier sacré en laissant tomber de toutes parts ses tiges échevelées qui partent d’en haut et deviennent des racines dès qu’elle touchent la terre[1]. Mais il faut plaindre le voyageur qui se trouvera à l’entrée d’une gorge, face à face avec la caravane prête à déboucher dans la plaine. Si par bonheur il monte un de ces petits chevaux du pays appelés tattous, plus entêtés qu’ombrageux, il en sera quitte pour avoir les jambes meurtries par le choc des ballots qu’emportent pêle-mêle à ses côtés les bœufs impatiens de se répandre sur une route plus spacieuse. S’il trotte sur un beau coursier du golfe Persique peu habitué à ces rencontres, et que le chef du troupeau s’arrête devant lui en agitant ses cornes immenses si bizarrement ornées, alors il y a un danger réel que le cavalier ne soit entraîné à travers les forêts et les rocs par son cheval épouvanté.

La distance de Panwell à Poonah est d’environ trente lieues, mais trente lieues de montagnes. Bien que les défilés se multiplient en s’éloignant de la mer de façon à rendre la marche pénible, on ne songe guère à s’en affliger, tant les sites sont solennels, les points de vue enchanteurs. Quelquefois le chemin serpente au flanc de la montagne, près d’un village caché sous les manguiers ; à mesure qu’on s’élève, le regard plongeant à pic sur une immense étendue, saisit mieux les détails du paysage. Dans la partie la plus riante du vallon se dresse d’abord la pagode, aux bords d’un étang entouré d’escaliers souvent à demi ruinés comme le temple lui-même ; un jardin toujours vert, toujours plein, de fleurs et de fruits, est adossé au bassin ; deux buffles attelés à une roue font monter l’eau destinée à l’irrigation. Cet appareil, au moyen duquel le parterre entretenu dans une perpétuelle fraîcheur ne laisse jamais l’autel manquer d’offrandes, se cache quelquefois sous le feuillage, si bien qu’on entend les jantes creuses se déverser dans les canaux sans en rien voir. Sus ces bosquets chante le rossignol

  1. Quinte-Curce a parfaitement dépeint cet arbre dans la phrase suivante « Plerique rami instar ingentium stipitum flexi in humum, rursus qua se curvaverant erigebantur, adeo ut species esset non rami resurgentis, sed arboris ex sua radice generatae »