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Il n’était pas doué de l’intelligence passionnée des Jutes II, de Léon X. Il savait qu’il entre dans la composition de tout beau règne une certaine quantité de poètes, de prosateurs, d’architectes, de statuaires et de peintres, et il se procura les artistes dont il avait besoin pour sa gloire, car les grands rois font les grands artistes ; ils n’ont qu’à vouloir un regard d’attention, une bonne parole et une poignée d’or suffisent pour cela. Mais cet art improvisé n’avait pour centre et pour but que Louis XIV. Plaire au roi, divertir le roi, louer le roi, peindre le roi, sculpter le roi, telle était la pensée unique ; et comme le roi aimait a pompe un peu raide, la solennité un peu guindée, tout se modelait sur son goût. La poésie avait toujours des habits de gala avec un page pour lui porter la queue, de peur qu’elle ne se prît les pieds dans ses jupes de brocart d’or en montant les escaliers de marbre de Versailles. Une expression qui n’avait pas été reçue à la cour n’était admise nulle part. Les d’Hozier de la grammaire révisaient les titres de chaque mot, et ceux qui se trouvaient d’origine bourgeoise étaient impitoyablement rejetés. La peinture, tout entière aux tableaux d’apparat, aux plafonds mythologiques, jugeait l’imitation de la nature au-dessous d’elle. La nature n’avait pas été présentée, et Louis XIV avait horreur de la vérité en toutes choses, et surtout en art. Les Flamands lui déplaisaient souverainement ; il aimait mieux Charles Lebrun, son premier peintre : — un goût royal dont il ne faut pas disputer.

De tout cela il est résulté un art magnifique, grandiose, solennel, mais, osons le dire, sauf deux ou trois glorieuses exceptions, légèrement ennuyeux, et. qui produit une impression à peu près pareille à celle que vous donnent les jardins de Le Nôtre ou de la Quintinie : partout du marbre, du bronze, des Neptunes, des tritons, des nymphes, des rocailles, des bassins, des grottes, des colonnades, des ifs en quenouille, des buis en pots-à-feu, tout ce qu’on peut imaginer de plus noble, de plus riche, de plus coûteux, de plus impossible ; mais au bout d’une heure ou deux de promenade, vous sentez l’ennui vous tomber sur le dos en pluie fine avec la rosée des jets d’eau : une mélancolie sans charme s’empare de vous à la vue de ces arbres dont pas une branche ne dépasse l’autre, et dont l’alignement irréprochable ravirait d’aise un instructeur de landwebr prussienne. Vous vous prenez, malgré vous, à désirer quelque petit coin de paysage agreste : un bouquet de noyers près d’une chaumière au toit moussu, fleuri de giroflée, sauvage, avec une paysanne tenant un enfant au bras, sur le seuil encadré d’une folle guirlande de vigne ; un lavoir dans les eaux du vallon, sous ombre bleuâtre des saules, égayé par le babil et le battoir des lavandières ;