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lit, et tachait de favoriser les siens de tout ce qu’elle pouvait tirer de son côté et du leur. Le petit Scarron, quoiqu’il fût tout jeune, s’apercevait de ces manéges et ne s’en taisait pas ; il avait une amitié fort mince pour sa nouvelle famille, et savait un gré médiocre à monsieur son père de lui donner des petits frères qui devaient diminuer sa succession d’autant. Déjà il avait le parler fort libre et fort caustique, et décochait à sa marâtre des pointes piquantes qui envenimaient encore la haine qui existait entre eux ; il fit si bien que le séjour de la maison paternelle lui devint impossible. Ce n’étaient du matin jusqu’au soir que tracasseries et querelles, de sorte que le conseiller, excellent homme, mais père assez faible, fut obligé de le sacrifier à la paix du ménage et de l’envoyer chez un parent, à Charleville. Il y resta deux ans, et ce bannissement ayant un peu fait rentrer les griffes à l’humeur féroce de la marâtre, il revint à Paris, où il acheva ses études, après quoi il prit le petit collet, non qu’il eût une vocation pour l’état ecclésiastique. Son tempérament bilieux-sanguin le portait plutôt à l’activité du plaisir qu’au recueillement de la vie méditative, et il ne possédait aucune des qualités qu’exigent les grandes fonctions du prêtre, aussi s’en tint-il au petit collet, qui n’engageait à rien et ne vous empêchait même pas de porter l’épée et d’être un raffiné duelliste, comme l’abbé de Gondi. Le petit collet était un costume propre, leste, dégagé, presque galant et peu coûteux, qui signifiait seulement que la personne qui le portait : avait des prétentions à la littérature ou à quelque bénéfice. Rien n’était, du reste, plus profane, plus libre de tout préjugé que ces petits collets. Costumé de la sorte, et suivi d’un laquais, l’on pouvait se présenter partout sans crainte d’encourir la colère des suisses ; bien des portes qui seraient restées fermées s’ouvraient d’elles-mêmes devant monsieur l’abbé, et pourvu qu’il eût l’œil vif, la dent belle et la répartie prompte, il était le bien-venu des grands seigneurs et des belles dames.

Avec cet enjouement et cette tournure d’esprit, d’une famille honorable comme il était, et recevant quelque argent de son père, Paul Scarron devait avoir du succès dans le monde ; il fréquentait les sociétés galantes et spirituelles du temps, il était bien vu chez Marion de Lorme et Ninon de Lenclos, les deux lionnes de l’époque, qui réunissaient chez elles tout ce que la cour et la ville avaient d’illustre et de remarquable, les plus beaux noms et les plus fins esprits. Ce devaient être dans ces grands hôtels de la Place Royale et de la rue des Tournelles, car alors le Marais était le quartier élégant, le quartier à la mode, de bien charmantes causeries, de bien piquantes divagations à propos