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offre des facilités dont il est malaisé de n’abuser point. Entre les mains d’un versificateur médiocre, il devient bientôt plus lâche et plus rampant que la prose négligée, et n’offre pour compensation à l’oreille qu’une rime fatigante par son rapprochement. Bien manié, ce vers, qui est celui des romances et des comédies espagnoles, pourrait produire des effets neufs et variés. Il nous paraît plus propre que l’alexandrin, pompeux et redondant, aux familiarités du dialogue, à l’enjouement des détails, et nous aimerions le voir en usage au théâtre. Il nous éviterait beaucoup d’hémistiches stéréotypés dont il est difficile aux meilleurs et aux plus soigneux poètes de se défendre, tant la nécessité des coupes et des rimes du vers hexamètre les ramène impérieusement. Ce vers octosyllabique était si spécialement affecté aux bouffonneries, qu’il était appelé vers burlesque, bien qu’il se prête également aux inspirations nobles et sérieuses. C’est dans ce mètre que le bon Loret, le journaliste du temps, écrivait sa Muse historique.

Le burlesque, ou, si vous aimez mieux, le grotesque, a toujours existé, dans l’art et dans la nature, à l’état de repoussoir et de contraste. La création fourmille d’animaux dont on ne peut s’expliquer l’existence et la nécessité que par la loi des oppositions. Leur laideur sert évidemment à faire ressortir la beauté d’êtres mieux doués et plus nobles ; sans le démon, l’ange n’aurait pas sa valeur ; le crapaud rend plus sensible et plus frappante la grace du colibri. La vie est multiple, et beaucoup d’élémens hétérogènes entrent dans la composition des faits et des évènemens. La scène la plus touchante a son côté comique, et le rire s’épanouit souvent à travers les pleurs. Un art qui voudrait être vrai devrait donc admettre l’une et l’autre face. La tragédie et la comédie sont trop absolues dans leurs exclusions. Aucune action n’est d’un bout à l’autre effrayante ou risible ; il y a des choses fort comiques dans les évènemens les plus sérieux, et des choses fort tristes dans les plus bouffonnes aventures. La tragédie et la comédie sont donc des poèmes classiques ; attendu que, d’après une convention arrêtée d’avance, elles rejettent l’expression de certains sentimens et de certaines idées. La netteté un peu sèche de l’esprit français s’accommode de ces divisions et de ces compartimens dans le domaine de l’art. Pleurons ou rions pendant cinq actes, c’est bien ; mais ce désir d’harmonie et de régularité ne se satisfait que par le sacrifice des couleurs et des tons. On a une littérature monochrome, comme ces combats de gladiateurs peints avec de l’ocre rouge dont parle Horace, ou ces peintures en camaïeu dont les artistes de l’autre siècle ornaient les dessus de