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s’en acquitter il suffit de croire en Dieu. Ce fut encore Mlle de Hautefort, son bon ange, qui lui procura l’objet de ses désirs incessans. Elle engagea monseigneur de Lavardin, évêque du Mans, où elle avait des terres, à conférer quelque bénéfice de son diocèse au pauvre Scarron, que sa paralysie bien avérée permettait aux femmes les plus prudes de pousser et de recommander le plus chaudement possible. Notre poète, satisfait de ce côté-là, avait encore une autre ambition qui ne fut pas réalisée, celle d’obtenir un logement dans le Louvre ; on le lui fit long-temps espérer, mais il fut obligé de s’en tenir à l’espérance.

On aurait tort, après tout, d’après ces cris de misère et de détresse, d’induire que Scarron fût réellement misérable. Cette espèce de mendicité poétique était à la mode alors, et n’avait rien qui déshonorât. Par les sonnets flatteurs, les épîtres liminaires, les dédicaces, les auteurs cherchaient à se faire des protecteurs, à extorquer quelques cadeaux pensions ou secours pécuniaires. Comme c’était la cour qui décidait de tout, et qu’un mot de M. le duc, un sourire de Mme la marquise suffisaient à mettre, un ouvrage en vogue, il était naturel que le auteurs tâchassent de se concilier les suffrages des personnes haut situées par toutes les cajoleries possibles, et l’on sait qu’en matière de flatteries il n’y en a point de trop grosses, surtout auprès des gens de cour, accoutumés à se regarder comme le parangon et le centre de toutes les perfections. Ces phrases, qui nous paraissent aujourd’hui d’une bassesse abjecte, n’avilissaient pas plus les gens qui les employaient, que les formules de prostration dont on se sert maintenant encore au bas des lettres. Et puis, il ne faut pas oublier qu’alors les nobles et les gens titrés étaient considérés comme une espèce supérieure, comme des déités visibles auxquelles il n’était pas plus humiliant de demander des graces qu’à Dieu lui-même, tant était grande la distance qui séparait le protecteur du protégé. Sans doute, la dignité humaine semble avoir gagné à la fierté qu’affichent aujourd’hui les écrivains : leurs livres ne sont plus précédés de ces épîtres à de deux genoux ou l’auteur élève au-dessus du Maecenas antique un grand seigneur ignare, dans l’espoir d’un régal de quelques écus ; mais aussi ils ne fréquentent plus le grand monde et ne vivent plus dans la familiarité des princes et des gens de qualité. Réduits à leurs propres ressources, ils sont contraint à un travail incessant et manquent presque tous de loisir, — le loisir, cette dixième muse, et la plus inspiratrice ! – s’ils ne sacrifient pas leur orgueil, il faut qu’ils sacrifient leur art. L’honneur de l’homme est sauf mais la gloire du poète périclite.

Scarron, bien qu’il se prétendît logé à l’hôtel de l’impécuniosité, habitait