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pour la plupart ; des écrivains musulmans ont même prétendu que les princes de l’Inde ne bâtissaient jamais autrement leurs forteresses ; ils avouent également que ces murailles épaisses, garnies de créneaux, résistaient aux batteries composées de pièces d’un calibre moyen. Cependant nous avons vu, dans les grosses tours aux angles d’un château de construction assez ancienne, quelques arêtes faites de briques posées en travers, représentant l’appareil le plus ordinaire de l’architecture romane. Dans les siècles d’indépendance, chaque hauteur avait sa couronne de fortification ; en temps de guerre, quand la population, obstinément vouée au culte brahmanique, se soulevait contre le joug des empereurs mogols, des feux s’allumaient sur les monts ; les signaux se répandaient avec rapidité, et bientôt les Ghautts entières se hérissaient de soldats. Aujourd’hui, il en est de ces vieux castels comme de ceux qui se dressent sur les deux rives du Rhin ; les donjons qui se menaçaient les uns les autres depuis des siècles s’affaissent, pareils à. des vieillards, et ne se reconnaissent plus ; les citadelles mahrattes, d’où s’élançaient des cris de guerre incessans, où se soudaient les uns aux autres les anneaux de la confédération, se délabrent aux pluies de le mousson. Un édifice désert devient un corps d’où la vie s’et retirée ; il tombe en lambeaux et retourne à la nature ; les animaux s’en emparent, les reptiles s’y choisissent des repaires. Dans nos climats, le lierre et les petites fleurs ; sous les tropiques, les grosses lianes et les plantes gigantesques s’accrochent au front des tours et les font crouler : les oiseaux y sèment les graines de la forêt ; la savane reparaît dès que l’homme est absent. Quelquefois, devant les portes béantes de ces forteresses, vous verrez passer de beaux chameaux bactriens, deux fois plus grands et plus robustes que le dromadaire brun du désert de Suez ; ils descendent la colline en allongeant le pas ; mais le chamelier, balancé sur son siége, s’endort au roulis, et continue son chemin sans s’arrêter : il n’apporte plus au castel les riches étoffes de Delhi et d’Agra !

Il est naturel qu’un peuple essentiellement belliqueux, qui chaque année, après les pluies, trouvait quelque guerre à entreprendre, soit passionné pour les traditions. Aujourd’hui qu’il a fini son rôle, que lui reste-t-il, si ce n’est les souvenirs de sa gloire passée ? Mais le Mahratte les a sans cesse présens à son esprit ; ils sont comme la mèche de la carabine qu’on aperçoit fumant sur son épaule le jour, la nuit, dans les plaines les plus tranquilles, au sein d’une paix d’autant plus profonde, qu’il n’est guère en son pouvoir de la troubler. Les rapsodes s’en vont, de village en village, chanter au son de la guitare et du tambourin des récits guerriers ; différens en cela des bardes de la côte