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vrai, je n’eusse jamais cru que dans les îles d’Amérique ou chez les religieuses de Niort on apprît à faire de belles lettres, et je ne puis bien m’imaginer pour quelle raison vous avez apporté autant de soin à cacher votre esprit que chacun en a de montrer le sien. À cette heure que vous êtes découverte, vous ne devez point faire de difficulté de m’écrire aussi bien qu’à Mlle de Saint-Hermant. Je ferai tout ce que je pourrai pour faire une aussi bonne lettre que la vôtre, et vous aurez le plaisir de voir qu’il s’en faut beaucoup que j’aie autant d’esprit que vous. »

Dans une autre lettre, on trouve ce passage : « Je ne sais si je n’aurais point mieux fait de me défier de vous la première fois que je vous vis. Je devais le faire, à en juger par l’évènement ; mais aussi, quelle apparence y avait-il qu’une jeune fille dût troubler l’esprit d’un vieil garçon, et qui l’eût jamais soupçonnée de me faire assez de mal pour me faire regretter de n’être plus en état de me revancher ?… La male peste que je vous aime, et que c’est une sottise que d’aimer tant ! À tout moment, il me prend envie d’aller en Poitou ; et par le froid qu’il fait, n’est-ce pas une forcenerie ? Ha ! revenez de par Dieu ; de par Dieu, revenez, puisque je suis assez fou pour me mêler de regretter des beautés absentes. Je me devais mieux connaître, et considérer que j’en ay plus qu’il ne m’en faut d’être estropié depuis les pieds jusqu’à la tête sans avoir encore ce mal endiablé qu’on appelle l’impatience de vous voir… »

N’est-ce pas un spectacle étrange et philosophique de voir celle qui plus tard partagea presque le trône de France entrer dans le mince taudis d’un poète avec un jupon trop court, car elle avait grandi depuis qu’il était fait, et sa pauvreté l’avait empêchée de le renouveler ? — Et ce bélître de Scarron qui se demande pourquoi, elle pleurait ! Elle pleurait parce que sa robe n’était pas assez longue. N’est-ce pas une bonne raison, une vraie raison de femme ?

Pour se marier, il fallut que Scarron résignât son bénéfice, qu’il céda, moyennant trois mille livres, à un valet de chambre de Ménage, garçon d’esprit que son maître protégeait. Il se défit aussi d’une petite terre qu’il avait du côté du Maine, et dont M. de Nublé eut la délicatesse de lui donner vingt-quatre mille livres, ayant reconnu, après l’avoir visitée, que le prix de dix-huit mille, auquel elle avait été fixée d’abord, était au-dessous de sa valeur réelle. Malgré son mariage, Scarron, avec ce penchant à changer de lieux qui caractérise les gens malades, nourrissait depuis long-temps l’idée d’aller à la Martinique, d’où l’un de ses amis était revenu parfaitement guéri de douleurs