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signaler d’abord les mérites du style, qui, en dépit d’une certaine fougue aventureuse, dont l’expérience aura tôt ou tard raison, est à presque toutes les scènes d’une mélodieuse élégance et d’une rare vigueur. Une citation étendue en dira plus, d’ailleurs, que tous nos éloges ; nous choisissons les tirades où sont le mieux exprimés les deux passions, ou, pour mieux parler, les deux sentimens qui ont le plus remué, le plus dominé la vieille Espagne : la haine du Maure et l’orgueil castillan.

Trompé sur les intentions du prince, et s’imaginant qu’il médite la honte de sa famille, don Alfonso, au commencement du quatrième acte, compte les rubis qui ornent la poignée de son épée de combat ; chacun de ces rubis est le souvenir d’un péril noblement couru, le prix d’une victoire ; en les comptant, le vieux chevalier s’abandonne à toute sa tristesse et à tout son courroux.


« Ah ! s’écrie-t-il, don Sanche ! don Sanche ! mes ancêtres le tiennent de vos pères, ce titre de ma noblesse, ce gage de notre valeur ; cette épée, tant de fois trempée dans le sang du Maure, ils l’ont gagnée à force de fatigues et de prouesses, et dans la main de Munio, l’ennemi ne la trouva jamais oisive ; don Sanche de Castille, ne le savez-vous pas ? J’en atteste les champs d’Almodovar et de Montelo ! Les glèbes sanglantes vous diront leurs sueurs et leurs exploits populaires ; elles vous diront comment s’est agrandi par nous le beau royaume de vos aïeux. Don Sanche de Castille, à qui devez-vous votre gloire ? À qui, si ce n’est à nous, la race illustre des La Cerda est-elle redevable de ses poblaciones et de ses comtés ? Que de sang il nous a fallu verser, et que de sang il nous a fallu perdre pour refouler le Maure dans les vegas embrasées du midi, pour repousser ses cavaliers rapides, pour vous donner les palais des émirs, pour conquérir les mosquées au Dieu véritable, pour arracher les couronnes usurpées du front déloyal de vos grands vassaux révoltés ! N’avez-vous donc pas compris que notre nom est inséparable du votre, et que, si notre gloire a fait votre gloire, notre honte, don Sanche, fera votre honte également ? (Avec amertume.) Mais que vous importent dans un vassal le courage, le dévouement, l’héroïsme ? Votre cœur magnanime méprise tout cela, et vous nous croyez assez heureux sans doute quand la beauté de nos filles défraie les loisirs que vous ont faits nos fatigues. Consommez donc mon déshonneur, grand prince, consommez-le sans remords, sans hésitation, sans regarder à mes larmes, puisque votre ame royale en a besoin pour combler le vide qu’y fait l’oisiveté ; c’est un si beau spectacle, quand le Maure reprend les armes, qu’un infant de Castille ne s’occupe que de son amour et ne demande qu’à l’assouvir dans la honte de son plus fidèle vassal ! Puisque vous êtes si habile à multiplier les séductions autour d’une jeune fille sans expérience dont votre amour a charmé le cœur