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n’est pas la barbarie d’un cannibale fanatique… Il ne faut point appeler hauteur de la révolution ce qui ne serait que la région des vautours : restons dans l’atmosphère de l’humanité et de la justice. »

Et ailleurs, après une description un peu idéale de ce que c’est que ce peuple tant invoqué : « Quant aux factions plus ou moins obscures, plus ou moins intrigantes, plus ou moins impuissantes, quant aux agrégations partielles qui agitent, qui divisent, qui assassinent, et que l’on s’obstine à nommer le peuple, elles ne sont pas plus le peuple que les marais ne sont la nature et que les reptiles ne sont l’univers. »

Ce style de Daunou, si contenu d’ordinaire, si en garde contre les trop fortes images, s’élève donc involontairement en ces heures violentes et parait comme porté un moment par le souffle des grandes tempêtes. On noterait d’autres modes d’expressions concises, bien frappées, et qui lui sont restées plus familières ; ainsi : « Je ne puis, disait-il, attacher aucun sens à ces mots pouvoir révolutionnaire, et la Convention ne saurait prendre, à mon avis, une idée plus fausse et plus égarante de son caractère et de sa puissance. » Et en parlant de Louis XVI, par manière de concession : « Je dirais (si j’écrivais son histoire) qu’il combattit la révolution selon l’oblique et expectante malice de son cœur. » La concession peut sembler un peu forte, mais l’expression, l’alliance de mots est énergique et neuve. Et encore, faisant pressentir les effets désastreux d’une condamnation par vengeance : « Voilà, disait-il, comment naîtront la pitié, le regret, la terreur, les accusations contre la Convention nationale, et tous les élémens de trouble, de haine et de discorde, dont les aristocrates, les royalistes, les anarchistes, les intrigans et les ambitieux, et tous vos ennemis intérieurs, et tous les tyrans étrangers, vont s’emparer de toutes parts avec la plus meurtrière émulation. »

On trouvera peut-être que je fais là de la rhétorique en bien grave matière, et que je relève et souligne des mots dans la situation où ils échappaient le moins, littérairement ; mais Daunou pesait tous les siens aussi soigneusement à la Convention, lorsqu’il réclamait justice pour Louis XVI, que lorsque, devant l’académie de Nîmes, il célébrait l’influence de Boileau. Et je me souviens toujours que lui-même il aimait à citer, comme exemple d’atticisme, une certaine petite phrase d’un discours de Ducos à la Convention, petite phrase qu’il fallait certes beaucoup de goût et une extrême vigilance littéraire pour avoir saisie au passage et retenue.