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sur ces élémens, sur leur nature, sur leurs mouvemens, sur leurs propensions, la connaissance qui est strictement nécessaire à celui qui veut les combiner. Je conclus que c’est avec tout le courage de l’espérance, mais avec toute l’attention de l’analyse, que la Convention nationale doit faire une constitution… » Ces termes de sensation, d’expérience et d’analyse, ces traces de Condillac et de Lavoisier reparaissent perpétuellement : ils sont là à l’état d’éruption, si l’on veut ; mais le style en resta gravé.

Son Essai sur l’instruction publique de cette même date (juillet 93) contient une singularité caractéristique et piquante. Il s’agit d’un détail d’enseignement, d’un détail minime en apparence, « mais que je crois, disait Daunou, d’un intérêt suprême pour le progrès de la raison publique, et par conséquent aussi pour le perfectionnement de l’organisation sociale. » Qu’est-ce donc ? Il s’agit de la manière d’apprendre à lire aux enfans. Je ne saurais abréger cette page curieuse. « Cet enseignement, dit-il, quoiqu’il ait subi quelques réformes, doit demeurer essentiellement vicieux tant que l’épellation donnera des sons élémentaires tout-à-fait étrangers au son total ou syllabique[1]. Observez bien ce qui se passe dans les premières leçons de lecture que vous donnez à un enfant. Vous avez à l’instruire des conventions les plus bizarres dont les hommes se soient avisés, et à peine encore avez-vous le moyen de lui faire entendre que ce sont là de pures conventions. Si, comme il arrive presque toujours et comme il doit arriver en effet, si votre élève attache quelque caractère de sagesse et de vérité naturelle à ce que vous lui enseignez, votre élève n’apprend à lire qu’en désapprenant à penser ; et certes il a trop à perdre dans cet échange. Votre alphabet est le premier symbole de foi que les enfans reçoivent, et après lequel ils embrasseront tous les autres, car il n’y en aura point de plus absurde que celui-ci. C’est, j’ose n’en douter aucunement, c’est l’épellation actuelle qui donne le premier faux pli à la pensée, qui transporte les esprits loin du sentier de l’analyse, et qui met l’habitude de croire à la place de la raison. J’invoque donc une réforme d’un plus grand caractère que celles qui ont été introduites jusqu’ici dans l’enseignement de la lecture. Je réclame, comme un moyen de raison publique, le changement de l’orthographe nationale, et je ne crois pas cette proposition indigne d’être adressée à des législateurs qui

  1. Ainsi, pour lire AUX on fait prononcer aux enfans a, u, icse, ô. Assez d’un exemple.