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vient de flétrir les bourreaux retrouve ses anathèmes de grammairien-idéologue contre les expressions mal définies : « Les tyrans ont eu constamment recours à certaines dénominations odieuses, à de vains noms qui, répétés sans cesse et jamais expliqués, semblaient désigner de grands crimes et n’étaient réellement que les mots d’ordre des assassinats. La funeste puissance de ces expressions magiques est un vieux secret d’oppression… » L’éditeur, de Boileau trouvera plus tard des flétrissures presque aussi vives pour caractériser les conséquences désastreuses qu’il attribuait à une littérature vague et indéfinissable : toujours le même pli.

Cette adresse remit en mémoire à la Convention le nom de Daunou et rappela ses titres acquis ; dès les premiers jours, de sa rentrée, il prit un rang, une consistance politique qu’il n’avait pas eu le temps d’établir jusqu’alors, et qu’il soutint pendant toute la durée du Directoire. On peut dire que depuis le moment de sa rentrée jusqu’au 18 brumaire, il n’est pas, dans les annales civiles et parlementaires de ce temps-là, un rôle plus honorable, plus pur, plus considérable même, que celui de Daunou. S’il n’eut pas son jour comme Boissy-d’Anglas, il eut son tous les jours, ce qui n’est pas moins difficile. Victime de la veille, il rentre avec l’ame calme et déterminée à la justice, c’est-à-dire, après de telles horreurs, à la clémence. Quoique sa vertu se tienne plutôt d’ordinaire dans les lignes strictes de l’équité, de la probité, et que le mot de grandeur semble jurer avec lui, il offre, dans ces momens d’après thermidor, une sorte de grandeur morale par cette tenue si ferme et si simple en des circonstances de toutes parts si émues. Également opposé aux excès de vengeance et de réaction contre la queue encore menaçante de Robespierre, aux excès de prévention et de rigueur contre les factions nouvelles qui se lèvent au nom de l’ordre, il maintient la doctrine républicaine dans son antique droiture et dans une mesure inaccoutumée, il contribue au salut de la Convention en vendémiaire, et n’aspire qu’au régime des lois. Principal rédacteur et conseiller de la constitution de l’an III, il mérite que ceux même qui s’en servent pour la combattre, et que fructidor ira frapper, disent de lui, par exception : « Daunou, du moins, est avec les honnêtes gens. » Retracer sa biographie complète en ces années, ce serait repasser toute l’histoire ; elle le montrerait le rapporteur obligé, le promoteur de presque toutes les bonnes mesures, l’orateur officiel, irréprochable, qu’on aimait à présenter aux amis comme aux ennemis dans les grandes et belles circonstances. Il faut choisir : nous nous bornerons à le prendre à deux ou trois momens qui nous le peindront.