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de le faire. Sorti du Conseil des cinq-cents au mois de prairial an V et n’y devant rentrer que par une élection l’année suivante, voyez-le dans l’intervalle : il se confine du premier jour dans sa bibliothèque du panthéon et ne s’occupe plus que de mettre de l’ordre dans cette masse de livres, d’organiser le catalogue ; c’est beau, c’est touchant de la part de celui qui vient de contenir d’autres masses et d’organiser la république, mais était-ce là le fait d’un homme politique actif et surtout d’un homme de gouvernement en de telles circonstances ? M. de Talleyrand, ministre des affaires étrangères après le 18 fructidor, lui écrit une lettre aimable et coquette pour lui offrir la place de secrétaire-général auprès de lui : Talleyrand doublé de Daunou, cela eût fait, convenons-en, une combinaison piquante et parfaite ; chacun aurait eu de quoi prêter à l’autre. Daunou refusa et resta au milieu de ses livres. Il refusa, non point, je le crois, parce que c’était Talleyrand qui offrait, mais parce qu’il aimait mieux garder son coin quand il n’y avait pas nécessité d’en sortir. D’autres, remarquez-le, auraient été tentés d’accepter précisément parce que c’était Talleyrand lui-même, c’est-à-dire un nouveau monde à étudier, d’autres relations à embrasser et à saisir ; la curiosité les aurait poussés. Daunou n’avait pas le principe de curiosité, ou bien quelque chose de plus fort en lui le réprimait. Mme de Staël aussi fit toutes sortes d’avances gracieuses en ce temps pour l’apprivoiser ; elle ne réussit qu’à lui inspirer de la reconnaissance et une estime affectueuse qu’il lui conserva, au milieu des dissidences subséquentes. Les singularités sociales de Daunou, en cette phase du Directoire, sont célèbres : son costume, bien moins réglé que nous ne l’ayons vu, trahissait, même aux fêtes de Barras, le savant, le solitaire en grand effort d’étiquette. Pour simplifier les choses, il n’avait qu’un habit, et, quand il l’avait usé, il en achetait un neuf tout fait, qui, tant bien que mal, lui allait toujours. La seule conclusion que je veuille tirer de pareils traits d’originalité naïve, c’est que, même en ces années de familiarité et de liberté, où il jouait un grand personnage public et où il voyait le plus de monde, même quand il était le parrain désigné de toutes les constitutions, filles de celle de l’an III, quand il allait par-delà les monts, en qualité de commissaire, organiser la république romaine et y rétablir les comices et les consuls, Daunou n’aurait point mérité qu’on dît de lui, comme d’Ulysse, qu’il était un grand visiteur d’hommes. Il se souciait des hommes pour les éclairer, s’il se peut, jamais pour les diriger et les manier. Quand Bonaparte de retour d’Égypte, et qui, dans les premiers jours de son coup d’état, ne préjugeait naturellement les acteurs d’alors que sur