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et tout cela, pour servir ses propres opinions, à ce qu’il croit, et pour satisfaire ses profondes rancunes. Qu’on retourne le fait comme on le voudra, qu’on le discute au point de vue de la justice stricte, sinon de l’élévation et de la grandeur, cela n’est pas bien. Daunou, cette fois, dut en vouloir à Bonaparte doublement, à cause de cette faiblesse que le maître lui avait arrachée.

Habile à trouver la fibre secrète de chacun pour la faire jouer à son gré et l’adapter à ses fins, Napoléon avait été long à découvrir celle de Daunou, mais, pour le coup, il la tenait : il y avait quelque chose de plus avant que le républicain chez l’homme de l’an III, c’était le philosophe ; il y avait quelqu’un qu’il jugeait plus funeste encore que l’empereur, c’était le pontife. On le fit, instrument et rouage par ce côté.

Infirmité de l’humaine nature ! Tel est l’empire des préventions et des haines invétérées, peut-être seulement des fausses positions et des faux plis, chez les meilleurs, chez les plus sages ! Daunou lui-même, tout en se piquant de modérer sa plume, ne sut pas triompher de l’inspiration : le vieux levain remonta. Lui, si humain pour les opprimés, il fut sans pitié ce jour-là, il ne vit que l’intérêt philosophique en jeu, et se remit en posture de gallican pour mieux frapper. – Un plus mémorable épisode de sa vie littéraire sous l’Empire est son amitié intime avec Chénier[1]. En 1807, Daunou, qui avait quelques

  1. M. Labitte, en cette Revue (15 janvier 1844), nous en a déjà raconté avec intérêt plus d’un détail.