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aux bienséances plus ou moins sincères que d’ordinaire à cette heure on n’élude pas. Il fit mander dans la nuit du 19 au 20 juin (1840) son digne exécuteur testamentaire, et dicta une addition à son testament, addition dont le sens et les termes avaient ce cachet de précision et de propriété, inséparable de sa pensée : « Après mon décès dûment constaté, mon intention est que mon corps soit immédiatement transporté, etc., etc…, sans annonce, discours ou cérémonie d’aucun genre, avant 9 heures du matin[1]. » Ceci écrit, il se fit donner le papier, le lut très attentivement, et le signa Pierre Daunou, testateur, de sa main défaillante. Il mourut le même jour, à 10 heures ¾ du matin, moins de 9 heures après cette expresse manifestation de sa volonté fixe et indéfectible.

Qu’ai-je à dire encore ? il ne me reste qu’à rassembler un peu au hasard quelques impressions et souvenirs qui achèveront de le montrer tel qu’il fut de près, et là où les éloges réguliers ont pu moins le saisir. Il se levait d’ordinaire à quatre heures du matin ; sa lumière (lorsqu’il habitait la rue Ménilmontant) servait, dans les saisons obscures de signal et d’horloge aux jardiniers et maraîchers de ces quartiers pour se lever eux-mêmes. Quelquefois pourtant, quand l’insomnie le prenait, il se levait plus tôt ; et dès deux heures du matin : « Mais pourquoi ne pas rester au lit ? lui disait-on ; le sommeil reviendrait peut-être, et cela du moins repose. » — « Les pensées, répondait-il, viennent alors en foule, le mieux encore est de se lever, de se mettre à paperasser ; c’est encore la meilleure manière d’exister[2]. » Et il dut

  1. C’était le père Lachaise qu’il indiquait comme le lieu où l’on devait le transporter, mais il désigna formellement le cimetière sous le nom de jardin Louis qu’il avait porté autrefois, et sans vouloir proférer le nom néfaste en ce moment suprême.
  2. On sait, chez Rotrou, les beaux vers du vieux Venceslas qui, lorsqu’on lui demande pourquoi il devance l’aurore, répond dans un tout autre sentiment :

    Oui ; mais j’ai mes raisons qui bornent mon sommeil :
    Je me vois, Ladislas, au déclin de ma vie,
    Et, sachant que la mort l’aura bientôt ravie,
    Je dérobe au sommeil, image de la mort,
    Ce que je puis du temps qu’elle laisse à mon sort ;
    Près du terme fatal prescrit par la nature,
    Et qui me fait du pied toucher ma sépulture,
    De ces derniers instans dont il presse le cours,
    Ce que j’ôte à mes nuits, je l’ajoute à mes jours.

    Ici, au contraire, c’est plutôt pour ôter à ce que la vie a de trop vif que le savant privé de sommeil vaque au travail dès avant l’aurore.