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de détail qu’on n’aurait imaginé ; il exigeait, même du poète, la liaison des idées selon Condillac. Il jugeait très bas La Fontaine un peu surfait, et ne coulait pas sans difficultés sur ce qu’on est convenu d’appeler ses aimables négligences. En prose ; il était un arbitre consommé et souverain, mais encore très armé de distinctions ; il estimait, on l’a vu, la prose du XVIIIe siècle au moins égale à celle du XVIIe ; s’il parlait magnifiquement de Bossuet et le comblait d’éloges sentis, il s’attachait pour son ordinaire à Jean-Jacques, et ne cessait pas de l’admirer de près. Je l’ai entendu réciter par cœur, comme modèle d’harmonie et de récitatif cadencé, la tirade du début de Pygmalion ; il articulait chaque phrase, en y mettant l’accent, en y reconnaissant presque des longues et des brèves. Le style qui sentait un peu la lampe ne lui déplaisait pas.

En latin, de même : il goûte fort Sénèque, mais sans préjudice de Cicéron ; il adore Tacite, mais sans moins apprécier Tite-Live. Sur Horace, sur Virgile, il rattrape toute sa sensibilité, sa finesse morale, sa jeunesse d’impressions, comme aux jours où il en causait sous les allées de Montmorency. C’était un esprit tout latin, exquis, acquis. C’est en latin, peut-être, qu’il a eu sa plus grande ouverture d’angle, toute son envergure. La conversation, quand elle dérivait là-dessus, devenait avec lui des plus intéressantes, et des plus fines : sous son sourcil gris, son petit œil étincelait. Là il est original et exprime des opinions particulières sur Phèdre, sur Cornelius Nepos, qu’il ne craint pas de dégrader de leurs honneurs classiques usurpés.

Le livre de M. Nisard l’avait fort remis en train et en humeur sur ces sujets ; il était très frappé de ce livre de M. Nisard, peut-être un peu trop, comme quelqu’un qui peu accoutumé au moderne, le trouve tout d’un coup singulièrement gracieux sous ce pavillon.

Ses opinions sur les poètes et les philosophes modernes, même sur les historiens célèbres de nos jours, seraient capables d’étonner. J’essayais un jour de le convaincre sur Lamartine ; et je lui récitais la strophe :

Ainsi tout fuit, ainsi tout passe,
Ainsi nous-mêmes nous passons, etc. ;

Il me répondit que c’était, en effet, fort bien conjuguer le verbe. Il accordait à contre-cœur quelque talent à Chateaubriand. Il ne craignait pas d’avouer que, dans les comités des chambres dont il faisait partie, il lui eût été plus facile de s’entendre, ou du moins de contester