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et nous autorise, à parler de Coningsby, ne fût-ce qu’à titre de renseignement sur la situation d’un des grands partis de l’Angleterre. Coningsby est le livre à la mode de cette saison. Publié au mois de mai, il avait au bout de quelques semaines une seconde édition : il en a aujourd’hui une troisième. Les salons se sont amusés à en traduire les personnalités enveloppés, et à y butiner des médisances ; il a été discuté et commenté par la presse : en parcourant les journaux anglais, il peut vous arriver de rencontrer encore dans les leading articles du Times et du Morning-Chronicle (ce sont les premiers-Paris de l’endroit) des allusions familières à plusieurs des types que M. d’Israeli a esquissés dans Coningsby.

Avant tout, il faut peut-être s’expliquer sur la question littéraire que ce livre soulève. Par sa forme, Coningsby, semblerait devoir plutôt relever de la critique littéraire que de la discussion politique. Coningsby est bien un manifeste, mais nous ne pouvons empêcher qu’il ne soit aussi un roman. Si la critique avait à se prononcer sur ce livre avec la sévérité due aux œuvres qui prétendent aux succès désintéressés et durables de l’art, elle pourrait frapper d’une juste condamnation l’alliance illégitime que M. d’Israeli y a consommée. S’il fallait chercher dans l’épigramme la pénalité encourue par ce délit, on comparerait la violence que M. d’Israeli a faite à l’art, au nom et au profit de la politique du moment, à la barbarie qui introduirait les armes à feu dans un orchestre : c’est, pour un cas semblable, le mot de cet esprit raffiné, M. de Stendhal, qui lui-même tramait des romans comme en aurait pu composer Machiavel, si, dans ses délassemens littéraires, l’auteur de la Mandragore n’avait préféré oublier la science d’intrigue amassée par l’auteur du Prince. M. d’Israeli eût-il exigé dans l’arrêt les rigoureuses formalités de la loi ? on lui eût démontré sans peine que son œuvre enfreint les règles que la poétique impose à l’intervention de la politique dans l’art. L’art ne refuse pas de s’inspirer de la politique, puisque c’est une des faces sous lesquelles la nature humaine se présente à lui ; et, des influences morales qu’il ambitionne d’exercer, il n’exclut certainement pas celle qui peut agir sur la constitution et le gouvernement des sociétés, mais à une condition, c’est qu’il empruntera à la politique comme il emprunte aux autres branches de l’activité humaine, c’est-à-dire en faisant son miel, en généralisant les observations qu’il aura recueillies, de manière à préparer à l’homme de tous les temps un enseignement dans un plaisir. C’est ainsi que Corneille a parlé effectivement de politique au goût de Condé et de Napoléon ; c’est ainsi que les hommes d’état reconnaîtront toujours