Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

servit à témoigner comme à développer en lui la sagacité de l’observateur et le talent de l’exposition. Il apprit à connaître avec profondeur ce qui se passe en nous, et à le rendre avec une lucidité parfaite. L’intimité du moi est comme la caverne mystérieuse où le Scythe de Platon allait chercher des spectacles inconnus qu’il rapportait ensuite à la clarté du jour.

Cette philosophie certaine, mais bornée, pouvait d’abord paraître un peu stérile. Réduite à ne constater que des phénomènes internes, elle pouvait sur le reste ne produire que le doute. Les sceptiques ne sont pas tous des téméraires. Le scepticisme fut souvent le fruit d’une dialectique hardie qui se joue du naturel et du vraisemblable ; mais il naît quelquefois chez les modernes d’un excès de prudence ou plutôt de timidité. L’abus des méthodes d’observation y peut conduire un esprit profondément expérimental qui constate et ne conclut pas. Cette excessive réserve fut un des caractères de la philosophie naissante de M. Jouffroy, et même à une époque plus tardive, lorsque sa doctrine s’était enhardie, elle conserva des traces de scepticisme[1], elle se contint en-deçà de ses légitimes conséquences ; du moins parut-il encore suspendre son jugement, alors même qu’il le suggéra sous la forme d’une irrésistible induction. C’est le fruit de son opiniâtreté à vouloir, retrouver à toutes les vérités philosophiques le caractère primitif de faits de conscience, caractère qu’une sagacité ingénieuse ne parvient pas toujours à leur restituer. L’unité et la sévérité de sa méthode l’obligent à des efforts infinis de pénétration et quelquefois de subtilité pour transformer ainsi toutes nos idées spéculatives, et pour enlever sur tous les points aux naturalistes le privilège de la science expérimentale, en faisant de la méthode de Bacon la clé d’une philosophie qui n’est au fond rien moins que celle de Bacon.

Je ne l’ai point entendu dans sa jeunesse, alors qu’il était répétiteur à l’École normale, ou qu’il enseignait la philosophie au collége Bourbon (1819) ; mais j’ai lu et tous les amis de la science se rappellent son premier ouvrage. C’était une Introduction aux Esquisses de Philosophie morale de Dugald Stewart (1826). La méthode psychologique y est déjà supérieurement décrite et maniée. Elle est dirigée avec art contre les conclusions excessives de la physiologie appliquée à l’esprit. Pour établir l’existence morale de l’homme, il la montre attestée par des phénomènes non moins certains que tout autre fait d’expérience,

  1. Voyez, dans les premiers Mélanges, le fragment intitulé : du Scepticisme, p. 200, et dans le premier volume du Cours de droit naturel, la neuvième leçon : Réfutation du scepticisme.