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Il n’y a rien peut-être de plus pathétiquee dans l’Iliade que le discours adressé au divin Achille par ses coursiers. Dans plusieurs chants populaires publiés par M. Fauriel, des chevaux parlent aussi à leur maître. Le cheval de Liakos lui dit : « Allons, allons délivrer ma maîtresse. » Le cheval de Vevros s’adresse à ce brave gisant sur le champ de bataille et lui dit : « Lève-toi, mon maître, et cheminons, voilà notre compagnie qui s’en va. » Enfin, dans le plus extraordinaire de ces chants, celui qui s’appelle l’Enlèvement, le héros qui a une course longue et rapide à faire ayant demandé « qui peut, en un éclair qu’il fait du pied dans l’Orient arriver dans l’Occident, un vieux, un tout vieux cheval, qui avait une multitude de plaies, répondit : Je suis vieux, je suis laid, et les voyages ne me conviennent plus ; cependant encore un voyage, un grand voyage, je le ferai pour l’amour de ma belle maîtresse, qui me choyait, me donnant à manger dans son tablier, qui me choyait, me donnant à boire au creux de sa main. » Ce discours du vieux cheval fidèle n’a pas la grandeur triste des prophétiques paroles prononcées par les coursiers divins, mais il a aussi sa naïveté, et son charme, et il est inspiré aussi bien qu’elles par le sentiment de la communauté d’exitence et de l’association fraternelle qui lie le cheval à son maître comme un confident et un ami.

A l’occasion des chants funèbres, je reviendrai sur les rapports curieux qui unissent la poésie antique à sa sœur obscure la poésie moderne des Grecs. Je passe aux traces que les croyances païennes ont laissées dans les mœurs actuelles de la Grèce.

Les Grecs croient aux Parques et les appellent de leur ancien nom Moirai. Trois jours après la naissance d’un enfant, on prépare un festin pour elles ; les femmes grecques vont dans la grotte des Parques prononcer une invocation magique assez obscure, dans laquelle figure le nom de l’Olympe. Le peuple croit aussi aux Néréides, dont il n’a pas oublié le nom et auxquelles il attribue un singulier mélange de grace et de cruauté. Elles enlèvent les enfans qui s’approchent des fontaines, comme ces nymphes, déesses redoutables aux habitans de la campagne, dit Théocrite, qui entraînèrent le bel Hylas au fond des eaux. Personne n’oserait s’approcher de la source du Styx, qui passe pour avoir les qualités les plus funestes. La croyance à Charon est encore populaire.