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expressions, il s’avance bien plus loin, il veut montrer les indices de l’avenir, marquer des fondemens réels ; enfin, en face de chacune des idées de l’ultramontanisme, il élèvera une autre idée plus vraie, plus féconde, plus religieuse. Ainsi M. Quinet prend l’engagement d’édifier des dogmes nouveaux. Avant de comparer les résultats aux prétentions, reconnaissons que M. Quinet a eu raison de dire qu’aujourd’hui il s’avance bien plus loin. L’année dernière, en effet, M. Quinet ne faisait la guerre qu’aux jésuites, aujourd’hui il la déclare au catholicisme, à l’église elle-même. Déjà, l’année dernière, l’entreprise avait dépassé ses forces, et nous avons dû remarquer que le brillant polémiste, malgré toute son ardeur, n’avait qu’effleuré son sujet : maintenant sera-t-il plus fort, sera-t-il plus heureux, quand, au lieu de prendre à partie une société particulière, il lève sa lance contre l’église romaine ?

Il est d’abord un point qu’il est à propos d’éclaircir. Les philosophes du XIXe siècle doivent-ils, comme ceux du XVIIIe, soutenir contre l’église une guerre persévérante, systématique ? L’attitude des philosophes de nos jours doit-elle être toute militante, entièrement hostile ? À cette question nous répondrons par deux mots de Spinoza : Non detestari, sed intelligere. Si les philosophes n’avaient pour l’église que de la haine, ils montreraient qu’ils ignorent le véritable but de la philosophie, la mesure de ses forces, et qu’ils ne connaissent pas davantage la mission salutaire de la religion. En face des croyances religieuses, le génie philosophique ne doit pas avoir des pensées de proscription, mais l’ambition du partage. A-t-on jamais cru que les mathématiciens dussent exterminer les poètes ? Pourquoi donc la science chercherait-elle sa prospérité dans l’anéantissement de la foi ? Sans doute il y a des débats inévitables, et la raison doit défendre son indépendance. Pour notre part, nous ne croyons pas avoir jamais manqué à la défense nécessaire de la philosophie, mais une pratique plus mûre de la vie et de la pensée nous a convaincu que des attaques incessantes contre l’église ébranleraient la stabilité sociale, sans donner aux idées nouvelles une impulsion puissante. Le travail de notre époque doit être plutôt une transformation qu’une lutte. D’ailleurs, l’esprit du siècle pénètre et modifie l’église plus peut-être qu’elle ne le pense elle-même, et elle subit l’action du temps, quoiqu’elle se dise bâtie pour l’éternité. Nous ne voudrions donc pas qu’on troublât trop, par des cris de guerre, le cours naturel des choses. Ne pouvons-nous voir à la fois les pouvoirs politiques maintenir avec fermeté l’église dans de justes bornes, et les penseurs rester calmes dans les régions