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Je voudrais, monsieur, répondit froidement l’alderman, que tous les autres vauriens de Londres en fissent autant » Brummell, à ce qu’il paraît, ne trouva rien à dire ; il se promit sans doute de ne plus se compromettre avec la roture.

D’après tout ce qu’on connaît déjà de Brummell, on n’aura pas de peine à croire qu’il n’avait pas l’organe de la tendresse fort développé. Son biographe en convient. Il avoue qu’il ne fut jamais bien sérieusement amoureux, et qu’il ne songea jamais à s’asphyxier. Il aimait trop son précieux individu pour avoir de la tendresse de reste. Cependant le capitaine Jesse assure que Brummell avait, en affaires d’amour, une vanité et une honnêteté également extraordinaires, et il raconte à ce propos l’aventure que voici : « Brummell entra un matin dans la chambre d’un de ses nobles amis, chez lequel il était en visite, et lui dit avec beaucoup de chaleur et d’apparence de sincérité, qu’il était fâché, très fâché, de le quitter, mais qu’il fallait absolument qu’il partît. Eh mais ! dit son hôte, vous deviez rester un mois. — C’est vrai, mais il faut absolument que je parte. — Mais pourquoi ? — C’est que, voyez-vous, je suis amoureux de votre femme. — Qu’est-ce que cela fait, mon cher ? J’ai été comme vous. Mais est-elle amoureuse de vous ? — Le beau hésita, et finit par répondre à demi-voix : Je crois que oui. – Oh ! alors, dit le mari, prenez la poste. »

C’est ce trait qui serait de la fatuité la plus impertinente, s’il n’avait pas plutôt l’air d’une mauvaise plaisanterie que le biographe de Brummell nous donne pour un exemple de l’honnêteté de son héros. Brummell, il faut le reconnaître, avait trop de goût pour commettre sérieusement de pareilles bévues ; son excessive vanité ne se faisait supporter que parce qu’il savait la rendre plaisante et en rire tout le premier. Mais, pour en revenir à ses amours, il est évident que le rôle qu’il jouait dans le monde s’opposait, autant que son caractère, à ce qu’il eût des passions sérieuses. Malgré ce culte exclusif qu’il avait pour lui-même, il ne s’appartenait pas. Il était l’esclave de la mode ; il était la propriété, la chose de cette abstraction qu’il s’était donnée pour maîtresse unique et jalouse. Il fut peut-être homme à bonnes fortunes ; mais, comme l’assure son biographe, et comme nous le croyons sans peine, il ne fut jamais tenté de s’asphyxier.

Précisément parce qu’il n’était pas amoureux, Brummell était très agréable dans le monde. Il était généralement le bien-venu auprès des femmes, avec lesquelles il faisait des madrigaux et de la tapisserie. Il était un habitué de la maison de cette belle et célèbre duchesse de Devonshire, qui joua à cette époque un si grand rôle dan la société