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variés des animaux. C’est le livre d’un solitaire rêveur, et il n’en paraît plus guère de ce genre en Europe.

J’aime encore la curieuse vie de Beau Brummel, par le capitaine Jesse. Le capitaine était digne de tenir cette plume élégante et fine ; il entre avec grace dans les mystères de la cravate. Il a le génie de la blanchisseuse et du tailleur. C’est l’homme de son livre ; nul plus que lui n’était digne d’approcher du sujet. Puisqu’il a si bien rédigé cette légère et triste vie du dernier des beaux, que ne s’occupe-t-il d’un charmant sujet qu’il me permettra de lui indiquer ? Que ne trace-t-il l’histoire de ces dynasties couronnées par la mode qui les a fait régner de Henri III jusqu’à nous, — mignons - raffinés, — roués, — viveurs, — dynasties de papillons dont le moraliste n’a pas encore tracé les annales ? Cette histoire se rattache à nos mœurs secrètes ; la race des dandies change de nom, mais ne meurt pas ; les raffinés de Louis XIII sont pères des petits-maîtres, qui donnent naissance aux libertins, desquels naissent les fats, puis les roués ; auxquels succèdent les muscadins ; ceux-ci cèdent le pas aux beaux, qui enfantent les dandies, lesquels se transforment en lions et aboutissent aux viveurs ; nous sommes contemporains de ces messieurs. Le lion anglais date du temps des conquêtes et des batailles, de 1813 ; — le dandy est plus ridicule ; comme dit un satirique anglais,

C’est le quart d’un mortel, le pâle et froid dandy,
Qui vit de blanc manger et de sucre candi !


Le libertin porte avec lui sa marque d’époque ; il brille entre Louis XIII et Louis XIV, sous le poète Théophile ; — le raffiné remonte à Henri IV et à ce temps de mœurs peu raffinées où une paire de gants était chose de luxe ; — la faiblesse platonique de Louis XIII donna naissance aux petits-maîtres, dont le pauvre Cinq-Mars fut le dernier, comme la faiblesse plus méprisable de Henri III avait fait naître les mignons Quélus et Saint-Mégrin. Parmi ces variétés de l’homme papillon, la belle espèce, la plus spirituelle, la plus ardente, me paraît être celle des roués, entre 1710 et 1760. Nos viveurs, fils d’une époque matérielle, se vantent trop haut d’une faculté peu séduisante, la faculté de vivre, qui leur est commune avec les coléoptères et les mollusques. Quant à beau Brummell, mêlé aux folies de la royauté expectante, dans une grande époque et chez un peuple qui exagérait l’activité du commerce et de la politique, cet insecte d’espèce rare était digne de trouver son biographe.