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VI - MOEURS, COUTUMES, LANGAGE ANTIQUES DE LA GRECE MODERNE

Ce n’est pas seulement dans les superstitions et les légendes populaires de la Grèce que se retrouvent le souvenir et la continuation de son passé poétique. A tous égards, l’homme y est, à peu de chose près, tel que l’ont peint les anciens poètes. A travers tant de vicissitudes, le fond du Grec n’a pas changé ; il a les mêmes qualités et les mêmes défauts qu’autrefois. Aussi un homme qui poussait jusqu’au ridicule l’aversion pour les Grecs de nos jours n’avait pas trouvé de plus grande injure à leur dire que celle-ci : C’est toujours la même canaille qu’au temps de Thémistocle. — Il me semble que l’on peut accepter cette insulte. Un autre voyageur, qui est loin d’être enthousiaste, les a mieux jugés en disant d’eux, à l’époque où ils étaient encore esclaves, après avoir expliqué avec raison leurs défauts par l’influence fatale de l’oppression turque achevant l’œuvre de la domination byzantine : « Malgré cette fâcheuse enveloppe (unamiable covering), l’ancien caractère national se fait jour à tout moment[1]. » Les deux héros épiques de la Grèce sont encore aujourd’hui les deux types du caractère de ses habitans. Le Thessalien Achille, c’est l’homme du nord, l’homme de la montagne, le klephte, le palicare, prompt à la course, vaillant, colère. Ulysse, c’est le Grec des îles, brave aussi mais moins fougueux, plus patient, et parfois trop digne de l’admiration qu’inspiraient à Minerve les ruses de son favori.

La curiosité, l’envie d’entendre des récits, étaient grandes chez les anciens Grecs. L’Odyssée en fait foi, car elle été composée pour satisfaire à ce besoin, et on sait avec quelle avidité sont toujours écoutés les récits d’Ulysse. Cet instinct de curiosité est bien puissant encore aujourd’hui chez les Grecs. Nos guides nous accablaient de questions. Que disent ces lettres ? demandaient des femmes grecques à un voyageur qui recueillait une inscription. Le meilleur résultat de cette ardente curiosité, c’est de produire dans la nation une sérieuse envie de s’instruire. Ce qui s’est fait en Grèce pour l’éducation en douze ans est très remarquable, le pays est couvert d’écoles[2] ; les parens les

  1. Leake, Northern Greece, t. I, p. 14.
  2. Voyez dans cette Revue un tableau de l’état de l’instruction publique en Grèce, t. II, 1er avril 1843.