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deux cent trois grands hommes inconnus. C’est encore une des marques du temps que l’excessive importance attachée aux moindres objets, et l’égoïsme des localités. Les États-Unis, qui manquent de souvenirs féodaux et par conséquent d’histoire, dont l’âge héroïque est d’avant-hier, essaient de se rattraper par des minuties qui n’ont pas même l’intérêt douteux des curiosités antiques et le charme mélancolique qui s’attache aux débris moussus du passé.

Plus loin encore que Beverly, Halifax, capitale de la Nouvelle-Écosse, ville complètement étrangère aux habitudes littéraires, s’est piquée d’honneur depuis l’apparition de Samuel Slick[1], et cette partie obscure et lointaine des domaines britanniques, l’Amérique anglaise, commence à élever des prétentions. Trois volumes intitulés Littérature coloniale, par G. E. Young (Halifax), témoignent de ces excellentes intentions ; hélas ! ce sont des intentions, et rien de plus. M. Young répète ce que Blair, La Harpe et Batteux nous ont dit trop souvent. Il n’y a que les vieilles sociétés qui soient fécondes en philosophie et en critique ; les sociétés au berceau font éclore la poésie vierge et la chronique naïve. La Nouvelle-Écosse n’est pas jeune ; c’est une vieille enfant de l’Angleterre jetée sous une latitude glacée. Elle n’est pas antique ; mœurs, institutions, coutumes, tout date pour elle de l’époque où elle s’est acclimatée au bout du monde. On dirait que ces livres, qui viennent de si loin, ont été pensés, écrits et imprimés dans une ville de province, soit en Angleterre soit en France. Il y a quelque curiosité, quant aux faits, dans un volume intitulé Huit mois dans l’Illinois, par William Olivier[2], ouvrage peu ambitieux, sorti de la plume d’un ouvrier du Roxburghshire, et imprimé dans l’Illinois même. Parti pour ces climats lointains afin d’y établir sa famille, l’auteur donne à ses compatriotes les conseils nécessaires à leur émigration future. On a sous les yeux un état de société absolument dans le germe, un pays à peine habité, de grandes prairies basses et couvertes d’eau, la culture pénible d’un sol inaccoutumé à la charrue, et les efforts de la colonisation dans ces lointains parages, détails curieux et neufs qui intéressent jusqu’à l’émotion.

L’Amérique republie, pour onze sous, tous les romans que l’Angleterre édite pour trente francs. Les images du Pictorial servent à des clichés qui passent l’Atlantique, et vont assouvir la faim littéraire des settlers et des Ojibbeways. Chaque état de l’Union aura bientôt

  1. Voyez Scènes de la vie privée dans l’Amérique du nord ; — Revue des Deux Mondes du 15 avril 1841.
  2. Eight Months in Illinois, etc., 1843.