Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps y pourvoira avec persévérance, mais avec mesure. Eh bien ! cette concession, si adoucie qu’elle soit, les intérêts privilégiés la repoussent. Au principe de la liberté progressive ils opposent celui d’une protection éternelle. Ils ne se contentent pas d’un bail à courte durée, ils exigent une emphytéose. À les entendre, le marché français leur a été irrévocablement aliéné, c’est leur bien ; ils ne souffriront pas qu’on y touche. Aussi, sur quelque point que le privilège soit menacé, s’élève-t-il à l’instant un concert de voix éplorées ou furieuses qui demandent le maintien de ce qui est avec un accent déchirant ou le ton de la colère. Le gouvernement lui-même est mis au défi d’y porter la main, et cette effervescence des intérêts va parfois, comme dans le projet d’union belge, jusqu’à prendre le caractère d’une coalition de chefs d’industrie et de législateurs. Cette situation est intolérable ; elle ne saurait se prolonger sans danger. La faiblesse engendre les prétentions immodérées, et l’état ne peut pas être à la merci des industries que couvre le privilège. Avec plus de prévoyance, on aurait pu s’épargner cet embarras. Il suffisait de ne donner à la protection qu’un caractère transitoire et de la mesurer à la force des industries dans une proportion toujours décroissante. C’est le contraire que l’on a fait Les sages avis n’ont pas manqué pourtant, et M. Rossi s’exprimait là-dessus avec autant d’éloquence que raison : « Ceux-là seuls ont besoin de privilèges, disait-il, qui manquent de courage, de prévoyance, de lumières, ou bien qui, plus répréhensibles encore, veulent s’enrichir à la hâte, aux dépens de n’importe qui, et demandent à la loi soudainement les gains qu’ils ne devraient faire, que peu à peu, à l’aide d’un travail habile et persévérant. »

On le voit, toutes ces questions sont graves, actuelles ; elles touchent la société par mille points, elles demandent des solutions promptes. Le rôle de l’économie politique est d’y concourir d’une manière active, avec modération sans doute, mais avec fermeté. Naguère des milliers d’ouvriers s’ébranlaient au cœur de l’Allemagne et prenaient pour cri de ralliement la destruction des machines. Ces excès ne sont pas nouveaux ; l’Angleterre, berceau des découvertes mécaniques, a eu à s’en défendre, et l’expérience a suffi pour les éloigner. Les classes laborieuses ne sont pas long-temps rebelles aux conseils de la réflexion et aux inspirations de la sagesse. Mieux éclairés sur l’emploi des machines, les ouvriers ont fini par en comprendre l’utilité, et c’est avec plaisir que l’on aime à rappeler la réponse d’un tisserand écossais, Joseph Fauster, devant une commission d’enquête formée en Angleterre. Après avoir déclaré que le travail mécanique ruinait sans retour le travail à