Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et si vous cherchez le poète de cette école, ne saisit-on pas très distinctement l’écho des leçons d’Alexandrie dans les hymnes chrétiennes de Synésius ?

Des Alexandrins aux Allemands, je n’ai pas besoin de transition. Quelque jugement que l’on porte sur les deux derniers systèmes qui ont régné en Allemagne, il faut reconnaître qu’ils se prêtaient singulièrement au mysticisme poétique. M. de Schelling, dans sa première période, l’a clairement prouvé. Je ne parle pas seulement de la philosophie de la nature et de l’enthousiasme qu’elle communiqua aux sciences, à l’histoire, à l’érudition. Avant ce triomphe, avant que M. Oken, M. Kreuzer, M. Goerres, se fussent groupés autour de lui, M. de Schelling avait rencontré à Iéna un poète qui, dans l’histoire de la philosophie allemande, se place gracieusement à ses côtés. Ce poète, c’est l’auteur des Disciples de Saïs, c’est Novalis. Esprit aimable et souffrant, exquise et subtile nature dont le christianisme et les doctrines panthéistes se partagèrent douloureusement les nobles instincts, Novalis a été pour M. de Schelling un Synésius plein de délicatesse et de profondeur.

Or, quel pouvait être le poète de Hegel ? Etait-il possible seulement qu’il y en eût un ? La doctrine du philosophe de Berlin, cette doctrine inflexible, effrayante, eût-elle réussi à inspirer un artiste ? Oui, je le crois, car le système de Hegel est lui-même une construction pleine de magnificence. Quand on a pénétré le secret de ces formules, ce n’est pas uniquement le sens philosophique qui vous frappe, c’est aussi la majesté du temple ; seulement, ce ne sont pas les templa serena dont parle Lucrèce. Je crois que ce système eût offert à une pensée forte et sombre des inspirations vraiment grandes. La conception de l’univers particulière à Hegel était faite pour tenter un poète hardi ; ce dieu qui sort de lui-même, qui se produit dans les formes visibles, dans la nature, dans l’humanité, et ensuite les brise sans pitié dès qu’il a retrouvé la conscience de son être, cette divinité terrible qui a besoin de tant de ruines, eût pu saisir avec vigueur une intelligence dantesque. Comme le dieu de Platon, comme le dieu bienfaisant du christianisme plane sur les écrits de tant de poètes et les éclaire d’une lumière pure, le dieu implacable de Hegel eût arraché à ses croyans de sublimes cris de douleur ou de révolte. Lugubre poésie assurément ! Pour la traduire en de puissans symboles, il eût fallu l’imagination douloureuse et bizarre qui, dans un songe effroyable, vit le Christ moribond annonçant aux hommes qu’il n’y a point de Dieu. L’art eût pu accepter