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si loyal de la vérité, donnait pour l’avenir de grandes espérances ; mais la mort vint tout interrompre. Aujourd’hui les documens abondent sur la destinée trop courte du poète mort avant l’âge ; ses amis ont soigneusement éclairé la route qu’il avait suivie ; ils ont recueilli avec piété ses derniers écrits, des vers, des fragmens, des lettres. On voit qu’ils veulent se couvrir de son nom. Cette vie est, en effet, une bonne défense pour eux ; dans cette école, où l’élévation morale des chefs a été obscurcie chez les disciples par tant de vanités bruyantes, par tant de colères factices, il n’est pas beaucoup d’écrivains chez qui l’on rencontre la haute distinction de M. de Sallet et qui aient su montrer ; au milieu des plus grandes témérités, au milieu des plus folles erreurs de l’esprit, une confiance si calme, une si affectueuse sérénité.

M. de Sallet, dont l’origine est française, appartient à une famille protestante qui s’expatria après la révocation de l’édit de Nantes. Né en 1812, dans une petite ville de Prusse, à Neisse, il commença ses études au gymnase de Breslau, puis, destiné à la carrière des armes, il entra au régiment des cadets à l’age de douze ans. Au milieu de ces études toutes militaires, ses instincts poétiques se déclarèrent bientôt. A dix-huit ans, le jeune soldat essayait déjà sa plume de mille manières ; tantôt dans le silence de ses promenades, tantôt en montant la garde sous les remparts de la citadelle de Juliers où il passa une partie de sa jeunesse, il méditait, il faisait des vers, et construisait des plans d’étude, des projets d’ouvrages de toute sorte. Ces fragmens, publiés depuis sa mort et qu’on aurait pu laisser dans l’ombre, attestent sans doute une pensée active, mais ils ne nous présagent rien de la direction qu’il a suivie, et l’on n’y trouve même pas ce travail inquiet d’une intelligence qui cherche sa voie. Chose étrange ! celui qui crut devoir être le poète de la morale hégélienne hésita long-temps avant de démêler sa vocation. Arrivé à Berlin en 1832, un an après la mort de Hegel, au moment où la doctrine du philosophe n’avait encore rien perdu de son autorité, le jeune écrivain, qui allait bientôt être subjugué par elle, n’y vit d’abord que des bizarreries qui provoquèrent sa verve. Il est curieux que l’auteur de l’Évangile des Laïques ait commencé par publier à Berlin, dans le Conversationsblatt, une petite nouvelle, vivement écrite, où il raillait très spirituellement la terminologie de l’école hégélienne. Les amis de M. de Sallet n’ont garde de négliger les rapprochemens que cette aventure rappelle ; saint Paul aussi avait persécuté les chrétiens, et M. de Sallet, disent-ils, se trouvera bientôt sur le chemin de Damas. En attendant l’illumination, il