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la jeune école de Hegel, il n’y a point d’alliance permise. M. de Sallet n’est pas chrétien ; il valait mieux le déclarer nettement que de transformer le Christ en un docteur panthéiste. De tels jeux d’esprit embrouillent toutes les questions, et comment ne produiraient-ils pas les plus singulières méprises ? En voici un curieux exemple : un des lecteurs de M. de Sallet fut ramené au pur christianisme par l’Évangile des Laïques, et lui écrivit avec effusion la lettre suivante : « Vous m’avez ramené au Christ, et cela ne pouvait arriver que par l’Évangile des Laïques. Votre livre m’a ouvert l’esprit ; maintenant, je puis mourir, je vous devrai la gloire d’être mort en vrai chrétien. » Ce n’est pas là précisément ce que voulait l’auteur, et son succès lui donna de cruelles impatiences. Cette impatience, nous l’éprouvons aussi, et beaucoup trop souvent, quand nous lisons les vers de M. de Sallet. Ses doctrines étaient nettes et arrêtées, mais elles allaient s’embarrasser et se perdre dans des explications, alexandrines. Son ame était sincère ; sa plume, involontairement, ne l’était pas.

A ne juger que le mérite littéraire de l’Évangile des Laïques, on peut aussi adresser au poète plus d’une objection sérieuse. M. de Sallet, qui, dans sa première jeunesse, s’était spirituellement moqué de la phraséologie hégélienne, a eu tort de trop lui pardonner plus tard, quand il fut initié aux mystères. Cette langue barbare, ces formules qu’il veut consacrer, gênent et appesantissent sa marche ; au milieu des mystiques élans, au milieu des mouvemens inspirés, les expressions métaphysiques viennent comprimer son essor, et la poésie emprisonnée étouffe derrière les verrous de l’école. Alors le poète se résigne à une forme didactique, à un style terne et timide. Rien n’est plus fatigant que cette continuelle inégalité. Après les strophes éloquentes, voici des quatrains bourgeois qui rappellent ceux de Pibrac, et que recommanderait le bonhomme Gorgibus, s’il pouvait jamais devenir hégélien. Quand M. de Sallet ne fait que reproduire le récit de saint Luc, son style est souvent plein de simplicité et de grace ; mais sa muse l’abandonne dès qu’il commence sa prédication. Le traducteur est bien inspiré ; c’est le scholiaste alexandrin, c’est le gnostique qui parle une langue moins heureuse. Il commet souvent des fautes de goût bien choquantes ; je n’aime pas qu’au milieu d’un chapitre de l’Evangile, après avoir montré le Christ reprenant les saducéens, il détourne la leçon du maître sur les ennemis de la philosophie hégélienne, et qu’il le fasse d’un ton si cavalier :

« Voyez-vous courir ce petit homme blême ? c’est maître Bon Sens ! Otez