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bientôt quatre ans, chacun en rit, M. Guizot peut-être tout le premier. Le procédé toutefois cesse d’être plaisant dans les circonstances où nous sommes. Cette soif indiscrète des éloges de l’étranger, ce besoin de se faire célébrer dans les feuilles anglaises au moment d’un conflit diplomatique entre les deux pays, sont de nature à irriter la France, surtout lorsqu’elle rencontre dans ces mêmes feuilles, à côté des magnifiques hommages décernés à M. Guizot, des invectives grossières dirigées contre des hommes dont elle honore le caractère et les talens. Les éloges et les outrages seraient-ils donc de la même source ? La plume qui rédige tous les jours le bulletin des victoires parlementaires de M. Guizot, qui vante sa fermeté et son courage, qui élève aux nues son génie politique, qui en fait l’homme d’état nécessaire à la paix du monde, serait-elle donc la même qui appelle M. Thiers un brouillon et un factieux, un esprit vide, un partisan de la guerre, et M. Molé l’indigne chef d’une lâche et méprisable faction, qui, de désespoir et sans scrupule, s’associe au parti de la guerre pour renverser M. Guizot ?

Si M. Molé et M. Thiers pouvaient être sensibles à ces calomnies odieuses, une chose les consolerait : c’est de voir les éloges, communiqués ou non, que les feuilles anglaises prodiguent à M. Guizot, cruellement compensés par des paroles qui doivent lui causer un déplaisir amer. « Sans doute, a déclaré lord Palmerston dans le parlement, l’intérêt de l’Angleterre veut que M. Guizot reste ministre : c’est aussi l’intérêt de la France et du monde ; mais, pour obtenir ce résultat, aucun ministre anglais ne doit sacrifier les intérêts et l’honneur de l’Angleterre. » Ce qui veut dire : nous reconnaissons volontiers que M. Guizot nous a rendu de grands services ; mais, pour avoir notre appui, il faut qu’il continue de faire nos volontés. Quelle ironie sanglante et quelle injure ! Peut-on stipuler plus outrageusement le prix moyennant lequel M. Guizot peut compter sur la bienveillance de l’Angleterre ?

Quiconque, en France, s’est senti blessé par la menace calculée de M. Peel, quiconque déclare que les faits connus ne justifient pas les prétentions du ministère anglais, quiconque cherche à fortifier M. Guizot contre des réclamations injustes et contre les entraînemens naturels de sa politique, quiconque le supplie de défendre énergiquement, selon sa promesse, l’honneur et les droits de notre marine, celui-là, des deux côtés du détroit, est accusé de vouloir la guerre. Dans les feuilles anglaises, comme dans les journaux ministériels de France, c’est le langage convenu. M. Molé, pour avoir parlé du sentiment national, est du parti de la guerre ; M. Charles Dupin, pour avoir loué nos officiers de marine, vent la guerre. M. Billault veut la guerre. Sans doute M. Fulchiron, qui n’a pas parlé, mais dont l’émotion a été remarquée pendant le discours de M. Billault, est aussi du parti de la guerre. Avons-nous besoin de dire encore une fois que ce prétendu parti de la guerre n’existe pas ? Avons-nous besoin de faire savoir au journal anglais qui s’est chargé si complaisamment de calomnier M. Molé, que l’ancien président du