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de n’y point voir, avec une voiture à ses armes, M. de Vaubert, qu’elle avait eu soin de prévenir du jour de son arrivée. Il y avait une bonne raison pour que M. de Vaubert manquât au rendez-vous ; mais la baronne ne la soupçonnait pas. Comme elle avait hâte de marcher sur ses terres, elle prit le bras de son fils, et tous deux, ayant gagné les rives du Clain, suivirent le sentier qui devait les conduire à Vaubert. Il faudrait avoir passé vingt années dans l’exil pour comprendre quelles émotions durent s’emparer du cœur de cette femme, lorsqu’elle aspira et qu’elle reconnut au parfum l’air de ces campagnes au milieu desquelles s’étaient écoulées les belles années de sa jeunesse. Son sein se gonfla et ses yeux se remplirent de larmes. Disons-le à sa louange, ce n’était pas seulement le sentiment de la propriété retrouvée qui la troublait ainsi. Ces émotions, elle les avait ressenties en touchant le sol de la France ; seulement, à cette heure, il s’y mêlait naturellement une plus douce ivresse, car s’il est juste de flétrir l’égoïsme des petites âmes qui bornent la patrie aux limites de leurs domaines, il est juste aussi de reconnaître que le champ paternel et le toit héréditaire sont dans la patrie commune comme une seconde patrie. Raoul, qui n’avait aucun souvenir de ces lieux, ne partageait pas l’attendrissement de sa mère, mais il sentait son jeune cœur tressaillir d’orgueil et de joie en songeant que ce château, ces bois, ces fermes, ces prairies qu’il avait tant de fois entrevus dans ses rêves comme de fabuleux rivages, il les tenait là sous sa main, et qu’il touchait enfin à cette seigneuriale opulence dont on l’avait entretenu souvent, après laquelle il avait soupiré toujours. À mesure qu’ils avançaient, Mme de Vaubert lui montrait l’océan de verdure qui se déroulait devant eux, et disait avec complaisance : — Tout ceci, mon fils, est à vous. — Elle jouissait des transports de ce jeune homme, et se faisait surtout une fête de l’introduire dans le gothique manoir des aïeux, vraie forteresse au dehors, au dedans vrai palais où respirait le luxe de dix générations. Cependant elle s’étonnait de ne voir venir à sa rencontre ni M. de Vaubert ni quelque députation de fermiers et de jeunes paysannes accourus pour fêter son retour, et lui offrir des fleurs et des hommages. Raoul lui-même qui, pour avoir grandi au sein des privations, ne s’était pas moins élevé selon les idées de sa race, que lui avaient inféodées de bonne heure les entretiens de sa mère et du marquis de La Seiglière, Raoul s’émerveillait tristement du peu d’empressement qui l’accueillait sur son passage ; mais, grand Dieu ! quelle ne fut pas la stupeur de la baronne, lorsqu’au détour du sentier, elle découvrit ce qui restait de sa garenne et de son château, et que Raoul, voyant