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— Enfin, ma mère, s’écria le jeune homme, m’allez-vous donner l’explication de ce que je viens de voir et d’entendre ? Hier encore, vous méprisiez, vous haïssiez cet homme ; jusqu’à ce jour, vous n’aviez parlé de lui qu’en termes flétrissans ! Quelle révolution étrange s’est opérée tout d’un coup dans vos idées et dans vos sentimens ?

— Mon Dieu ! rien n’est plus simple, et je croyais déjà vous l’avoir dit, mon fils, répliqua la baronne sans s’émouvoir. Au rebours de ce citoyen d’Athènes qui condamna Aristide à l’ostracisme, parce qu’il était las de l’entendre appeler juste, à force d’entendre dire du mal de M. Stamply, j’ai fini par en penser du bien. Si des préventions légitimes, si ma vieille amitié pour les La Seiglière, si l’ignorance des faits dans laquelle j’ai vécu durant près de vingt ans ont pu m’entraîner à des propos inconsidérés, depuis long-temps j’en avais des regrets ; j’en ai des remords à cette heure.

— Permis à vous, ma mère, repartit Raoul, d’en appeler de vos jugemens et de casser les arrêts que vous avez rendus vous-même ; mais vous n’aviez pas mission des La Seiglière d’absoudre en leur nom le détenteur de leurs domaines. Pensez-vous que le marquis vous pardonnât de l’avoir pris, en cette occasion, pour complice de votre indulgence ?

— Eh ! mon fils, s’écria la baronne avec un mouvement d’impatience, fallait-il porter le dernier coup à ce cœur déjà si cruellement blessé ? Ne devais-je entrer sous le toit hospitalier que pour m’y faire l’écho des malédictions de l’exil ? Suis-je coupable, suis-je criminelle pour avoir essayé de verser quelques goutes de baume sur les plaies de cet infortuné ? Ah ! jeunesse, vous êtes sans pitié ! Je ne sais si le marquis me pardonnerait ; mais je suis sûre que du haut du ciel l’ame de la marquise me sourit et m’approuve.

La visite de Stamply ne se fit pas attendre. Il se présenta, par une après-midi, au château de Vaubert, dans le costume le plus galant qu’il avait pu choisir dans sa garde-robe de fermier enrichi. Raoul était absent. N’étant point gênée par la présence de son fils, la baronne reçut son voisin avec toute sorte d’égards et de coquetteries ; elle l’amena doucement à parler de son fils, et parut s’intéresser à tous ses discours. On pense quelle satisfaction pour ce pauvre vieillard de rencontrer un cœur bienveillant dans lequel il pût librement épancher ses regrets ! Cependant il finit par remarquer le modeste ameublement du salon où il se trouvait, et, songeant à ce qu’avaient été autrefois et à ce qu’étaient aujourd’hui les Vaubert et les Stamply, il fut pris d’un vague sentiment de pudeur et de confusion que les ames