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qui intéressent la stabilité des pouvoirs. Le père chargé d’ans pourrait reposer tranquillement sa tête sur l’oreiller de la tombe sans entrevoir pour ses fils, et surtout pour ses filles, un avenir gros de tentations, de périls et de déshonneur, que ses sacrifices auraient conjuré. Cette source ouverte à l’hérédité par le labeur et l’économie finirait de la sorte par tarir la misère. De tels résultats seront lents à paraître, mais il faut se souvenir que Dieu a semé les institutions utiles à travers l’espace et le temps, comme pour servir de marque à sa toute puissance et de témoignage de notre faiblesse.

Créer la propriété chez une classe étrangère.à ses bienfaits est une œuvre immense qui ne peut sortir que du travail, des siècles. Nous savons pourtant qu’il n’existe pas d’autres sources d’aisance pour une classe de la société que la lente succession des efforts : les moyens violens peuvent faire naître une propriété vague, éventuelle, fugitive, qui s’en aille comme elle est venue, mais non une propriété assise qui se conserve et se transmette. Il faut, pour réaliser cette dernière, une suite de travaux et d’économies incessantes qui s’ajoutent séculairement les uns aux autres, comme les grains de sable dont l’entassement a formé les montagnes du globe. Il est seulement bon que l’état accoutume les classes ouvrières à s’appuyer sur sa protection. Les caisses d’épargne atteignent ce but elles élèvent le peuple sans le détacher de cette classe moyenne avec laquelle il a tant de liens profonds et nécessaires. La bourgeoisie est intéressée à l’amélioration du sort des travailleurs, ne fût-ce que pour faire disparaître cette plaie hideuse du paupérisme qui ronge et défigure les sociétés modernes. Des esprits que la fortune retient captifs dans ses délices n’ont peut-être jamais regardé aux souffrances de la classe déshéritée : il n’en est pas moins vrai que ces souffrances existent. Les statistiques sont là pour répondre aux froides dénégations de l’égoïsme, Encore cette misère officielle, enregistrée, chiffrée dans les livres, ne représente-t-elle qu’un côté du malaise de la société : à côté d’elle, il y a la misère anonyme, honteuse, inconnue, qui s’enveloppe dans son manteau troué. Combien de familles dans le dénuement rejettent les dons d’une charité publique qu’il faut conquérir par des certificats ! Combien d’ames encore raides et fières sous la chape de plomb de la nécessité refusent de se baisser pour ramasser à terre une aumône inscrite sur le livre de la mairie ! Ce n’est pas tout : les caisses d’épargne ne sont pas fondées seulement pour le peuple, pour cette classe d’hommes sans lendemain, dont le travail est le seul capital, mais aussi pour la petite bourgeoisie, pour cette c1asse intermédiaire, si nombreuse, qui se voit menacée plus que toute